Ce cours est consacré à l’étude des Keroubim. Pour bien saisir la nature précise de leur intervention, nous devons d’abord insister sur le fait qu’ils sont très étroitement associés à, l’archétype incarné par la Lune. Or cette planète évoque traditionnellement un pouvoir de coagulation et de matérialisation permettant de conscientiser et de concrétiser des forces qui seraient autrement demeurées désincarnées et stériles. Plus précisément, la Lune joue le rôle d’une véritable matrice qui accueille les forces subtiles pour les incarner pleinement. Nous pouvons donc en déduire que les Keroubim favorisent le développement d’une capacité à accueillir ces réalités subtiles (à s’en faire matrice) afin de les incarner et de les rendre pleinement effectives et tangibles. Pour mieux encore approcher le chœur des Keroubim, il est évidemment fort intéressant de s’attarder au nom hébreu employé par les kabbalistes pour le désigner. Or il s’agit du mot keroubim (KaPhReIShVaVBeIThYoDMeM ), la forme plurielle du terme keroub (KaPhReIShVaVBeITh ). À partir des lettres le constituant, nous pouvons former le mot karav (KaPhReIShBeITh ) signifiant « labourer »,

Un verbe désignant traditionnellement « l‘action d’ouvrir et de retourner (la terre) avec un instrument aratoire, un outil à main (bêche, binette, houe) ou une charrue. ».

– Le Petit Robert, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Paris, 1976.

En rendant la terre malléable, le labourage transforme peu à peu le sol en une « terre d’accueil », la préparant pour la réception des semences. En ce sens, il est essentiellement une activité permettant à notre terre (Intérieure) de s’ouvrir (de se rendre réceptive) à la semence, de l’incarner en son sein et de rendre tangibles toutes les potentialités dont elle est porteuse. C’est d’ailleurs en ce sens que le labourage est universellement considéré comme un acte de fécondation de la terre. Ainsi, la charrue avec laquelle l’homme laboure le sol est un symbole de fertilisation :

« Le soc est comme le membre viril qui pénètre le sillon, lequel est l’analogue de l’organe féminin. Passer la charrue sur la terre, c’est unir l’homme et la femme, le ciel et la terre : la naissance est comme une moisson. […] L’identification de la charrue à l’organe générateur est illustrée, a noté Mircéa Eliade, par la parenté linguistique [dans diverses langues austro-asiatiques] entre le mot lân gala (charrue) et le mot linga, tous deux dérivés d’une racine qui désigne tout à la fois la bêche et le phallus. ».

– Chevalier, Jean, Gheerbrant, Alain, Dictionnaire des Symboles, Robert Laffont, Paris, 1982.

À travers l’image du labourage, nous retrouvons donc de manière fort explicite la fonction première des Keroubim : celle de nous amener à nous placer dans une disposition d’ouverture et de réceptivité face à une réalité afin de la rendre pleinement tangible et de l’incarner en notre être (la rendant ainsi parfaitement effective).

L’image du labourage évoque également cette parabole admirable du Christ : la parabole du semeur.

« Voici que le semeur est sorti pour semer. Et comme il semait, des grains sont tombés au bord du chemin [un sol non labouré], et les oiseaux sont venus tout manger. D’autres sont tombés sur les endroits rocheux où ils n’avaient pas beaucoup de terre, [un sol ici encore non labouré], et aussitôt ils ont levé, parce qu’ils n’avaient pas de profondeur de terre ; mais une fois le soleil levé, ils ont été brûlés et, faute de racine, se sont desséchés. D’autres sont tombés sur les épines [un sol encore une fois non labouré], et les épines ont monté et les ont étouffés. D’autres sont tombés sur la bonne terre [une terre labourée] et ont donné du fruit, l’un cent, l’autre soixante, l’autre trente. Entende qui a des oreilles. […] Écoutez donc, vous, la parabole du semeur. Quelqu’un entend-il la Parabole du Royaume sans la comprendre [sans l’accueillir], arrive le Mauvais qui s’empare de ce qui a été semé dans le cœur de cet homme : tel est celui qui a été semé au bord du chemin. « Celui qui a été semé sur les endroits rocheux, c’est l’homme qui, entendant la Parole, l’accueille aussitôt avec joie ; mais il n’a pas de racine en lui-même, il est l’homme du moment : survienne une tribulation ou une persécution à cause de la Parole, aussitôt il succombe (il accueille la Parole mais il ne l’incarne pas en son être). Celui qui a été semé dans les épines, c’est celui qui entend la Parole, mais le souci du monde et la séduction de la richesse étouffent cette Parole qui demeure sans fruit [il accueille la Parole mais il ne la concrétise pas]. Et celui qui a été semé dans la bonne terre [une terre convenablement labourée], c’est celui qui entend la Parole et la comprend : celui-là porte du fruit et produit tantôt cent, tantôt soixante, tantôt trente. ».

– Matthieu XIII, 3-9 ; 18-23.

En ce sens, nous pouvons affirmer que celui qui a été semé dans la bonne terre évoque la conscience de celui qui a su répondre adéquatement à l’enjeu des Keroubim, s’étant ouvert à une réalité subtile (la Parole) et l’ayant l’accueillie en son être afin de la rendre pleinement effective au sein de son existence. C’est là aussi, une fois encore, toute la fonction des Keroubim associée à ce travail de « labourage de la conscience ». D’autre part, avec les lettres constituant le mot keroub (KaPhReIShVaVBeITh ) nous pouvons également former le terme
bikour ( BeIThKaPhVaVReISh ) désignant « la maturation ». Or cela conforte bien la fonction matricielle (gestante) propre à l’enjeu des Keroubim :

  • Incarner une force pour qu’elle puisse prendre corps, se concrétiser et devenir parfaitement tangible.