Le nom du Chérubin MaBaH (EL) est constitué d’un radical composé des lettres MeM, BeITh et Hé formant une fois permutées, le mot BeHaM (BeITh – Hé – MeM) désignant « le conducteur de troupeau». En ajoutant un Hé , nous pouvons également générer le mot BeHaMaH (BeITh – Hé – MeM – Hé ) désignant « la bête de somme » ou «le bétail »
– « Il alla fermer la porte (dalet] sur eux deux, puis invoqua le Soigneur. »
(2 Rois IV. 33).
Quant à la particule EL, elle place ce radical dans une perspective de relation à Dieu. Pour comprendre la mission particulière de ce Chérubin, voyons donc plus précisément la signification symbolique de ces mots.
Avant toute chose, il importe de noter que les lettres du radical sont identiques à celles qui composent le nom de la Principauté MeVaH (YaH) comme ce fut le cas pour celles formant le radical (LaMeD–ALePh–VaV) à l’origine du nom du Chérubin LAV (YaH) (identique à celui qui a donné naissance au nom du Trône LEoU (YaH). Une fois encore, elles n’occupent évidemment pas la même position au niveau des trois versets de l’Exode dont elles sont tirées. En ce Sens, elles s’inscrivent dans une dynamique chérubinique consistant, nous l’’avons vu, à contempler Dieu au sein du créé, accédant progressivement à Sa connaissance qui transforme l’être (l’enjeu propre aux Principautés consistant, nous le Verrons, à stimuler l’expression d’un désir de plénitude, celui-ci s’épanouissant le plus souvent à travers une quête de beauté et d’harmonie), Tout cela nous indique donc que l’enjeu de ces trois lettres ne sera pas le même qu’avec MeVaH (YaH).
À propos du « conducteur de troupeau » (BeITh – Hé – MeM) , il évoque, comme nous le préciserons encore davantage dans l’analyse du nom de MeVaH (YaH), un désir nous incitant à nous mouvoir et à mettre en action un projet. Le bétail incarne alors la puissance dont nous disposons et qui, convenablement canalisée par le désir, peut nous permettre de réaliser, et d’accomplir quelque chose. Plus encore, l’hébreu moderne forme à partir, de ce radical (BeITh – Hé – MeM) le mot bohemi (BeITh–VaV–Hé–MeM–YoD), c’est-à-dire bohémien, et le terme bohemah (BeITh–VaV–Hé–MeM–Hé)signifiant, « bohème ». Or le bohémien est essentiellement nomade, étant constamment en chemin. Quant à la bohème, elle désigne un milieu d’artistes non conformistes qui vivent sans souci du lendemain. Le terme BeHaM évoque donc un désir de se mettre en chemin, mais aussi de demeurer en chemin.
Mis en rapport avec l’enjeu propre aux Chérubins, MaBaH (EL) nous invite dès lors à attiser au plus profond de nous-mêmes, un désir de nous unir à Lui, Dieu, attisant encore davantage ce désir en se révélant à Lui. En termes plus lapidaires, nous pourrions dire qu’il nous incitera à chercher Dieu pour mieux le trouver; le trouver pour mieux chercher, le goûter pour mieux le désirer. En effet, « » le bonheur de trouver, écrit Bernard de Clairvaux, n’épuise pas un saint désir, au contraire, il l’amplifie. En atteignant la plénitude, la joie consumerait-elle le désir ? Non, elle est bien plutôt le l’huile, pour lui qui est une flamme. Oui, il en est bien ainsi: l’allégresse atteindra sa plénitude, mais le désir, lui, n’aura pas de fin, et la quête non plus, par conséquent. Mais essaie d’imaginer, si tu le peux, une quête sans relâche alors qu’on ne manquerait de rien, et un désir que n’accompagnerait aucune inquiétude. » Effectivement, c’est inimaginable ici-bas. Et pourtant, nous le percevons bien, quelle heureuse manière d’évoquer l’éternité; et quelle belle, quelle juste image que celle de la plénitude de la joie venant sur le désir connue de l’huile sur le feu: une plénitude sans manque ni saturation. Nous allons retrouver l’image de la flamme dans un autre passage où Bernard, selon ce même paradoxe, se représente l’éternité non point comme un statisme, mais comme une stabilité en mouvement. (…) Merveilleuse suggestive, l’image de la flamme pour évoquer la coïncidence d’une stabilité et d’un dynamisme. Le feu symbolise la ferveur, la nouveauté constante, la tension vers le haut, ceci dans stabilité de base. ».- Emery, Pierre-Yves, Prier15 jours avec saint Bernard ou la conversion du désir. Nouvelle Cité, Montrouge (France), 1995.
Sur un plan plus psychologique, MaBaH (EL) nous invité donc également à regarder l’autre avec les yeux de l’amour, suscitant en sen être un désir de s’unir à lui (de le connaître), cette connaissance attisant dès lors un désir d’union plus intime. L’autre étant par ailleurs un mystère inépuisable (en raison de son altérité irréductible), il est aisé d’en déduire que ce processus sera sans fin. En effet, plus j’aime l’autre, plus j’éprouve un désir de le connaître, de participer à son mystère, plus je découvre en lui l’immensité de son mystère et le fait qu’il est insaisissable. En ce sens, l’autre restera autre à jamais, ceci permettant à l’Amour d’exister, aucun amour n’étant possible sans altérité.
Toutefois, il ne faudrait pas confondre ici désir et besoin. En effet, « je ne puis qu’amorcer ici une distinction absolument essentielle entre le besoin et le désir. Avez-vous besoin de Dieu [de l’autre] ou désirez-vous Dieu (l’autre) ? Tout est là. On a besoin pour soi, le désir consiste à vouloir l’autre pour lui-même et non pas pour soi. Le Père Denis Vasse écrit dans son livre Le Temps du désir: « Prier, ce n’est pas « avoir besoin » ou « n’avoir pas besoin », mais c’est accéder à une conscience de plus en plus vivante qu’il nous est possible de désirer quelqu’un pour lui-même, de l’Aimer, dans l’exacte mesure ou nous n’en avons pas besoin, où il nous est impossible de le consommer... » Le besoin peut être satisfait, le désir ne l’est jamais. Désirer l’autre pour lui-même (telle est la définition même de l’Amour), c’est entamer un processus qui ne peut que creuser toujours davantage le désir, » – Varillon, François, Joie de croire, joie de vivre, Éditions du Centurion., Paris, 1981.