Ce cours est consacré à l’étude des Beni-Elohim. Pour bien saisir la nature précise de leur intervention, nous devons d’abord insister sur le fait qu’ils sont très étroitement associés à l’archétype incarné par Mercure. Or cette planète incarne fondamentalement l’instauration d’un rapport de médiation entre deux termes, entre deux réalités. À ce titre d’ailleurs, Mercure était, dans la mythologie grecque, un dieu faisant office de messager entre l’Olympe et le monde des hommes, assurant ainsi une liaison constante entre les deux réalités. Nous pouvons donc en déduire que les Beni-Elohim favoriseront le développement d’une capacité à établir un rapport de médiation, d’échange et de communication.

 

Pour mieux encore approcher ce chœur angélique, il est évidemment fort intéressant de s’attarder au nom hébreu employé par les kabbalistes pour le désigner. Il s’agit ici de l’expression Beni-Elohim que l’on peut traduire par « Fils de Dieu ». Or, avec les lettres constituant le mot Beni בּני (BeIThNoUN YoD), nous pouvons former la racine בּינ (BeIThYoDNoUN) à l’origine du mot béyn qui, en tant qu’adverbe, signifie « entre » et, en tant que préfixe, signifie « inter ». Nous retrouvons donc ce processus de mise en relation propre à la fonction des Beni-Elohim. Plus encore, cette même racine est à l’origine du verbe ban signifiant « comprendre » (le terme בּינה Binah (BeIThYoDNoUNHe) désignant « la compréhension »). Or toute compréhension se fonde sur un processus de médiation: « « Il faut que l’intelligence, quand elle pense, soit double » dit Plotin. « Toute notion n’est claire et parfaite, dit Lacuria, que lorsqu’elle se complique de deux termes opposés… » En effet, nous ne pouvons saisir aucune idée en soi d’une manière absolue, mais nous saisissons le rapport entre deux idées, de même qu’en psychologie nous ne percevons pas un état de conscience, mais la différence entre deux états de conscience. ».1 En recourant toujours à notre procédé de permutation des lettres, nous pouvons également extraire du terme Beni בּני (BeITh NoUN YoD) le mot nîv ניב (NoUN YoDBeITh) désignant la « parole » ou le « propos », deux outils de communication par excellence, permettant aux êtres d’établir entre eux un rapport de médiation. Quant au nom Elohim, la forme plurielle du mot Elohah, il correspond à l’expression créatrice de l’Ineffable telle qu’elle se manifeste tout au cours des six jours de la Création. Ce nom est d’ailleurs répété trente-deux fois dans le premier chapitre de la Genèse, évoquant ainsi les trente-deux voies de la Sagesse.

 

« Certains interprètes ont voulu voir dans la forme plurielle d’Elohim l’indication d’une pluralité de dieux : mais il est reconnu que c’est là ce qu’on appelle un pluriel de Majesté, forme emphatique analogue à celle qu’emploie encore un Souverain lorsqu’il dit : Nous voulons. […] Il n’exprime pas l’essence divine, mais plutôt l’ensemble des attributs de la divinité. Et il semble légitime de voir, dans la forme plurielle de ce Nom, non pas une pluralité de dieux, mais la diversité des attributs par lesquels Dieu se manifeste dans la Création. ». 

 

À ce titre d’ailleurs, l’interprétation chrétienne est fort intéressante puisqu’elle y voit non seulement un pluriel de majesté, mais encore une figure désignant la pluralité des Personnes divines, telle qu’elles apparaissent dans le concept de la Trinité. Ceci évoque donc à nouveau une notion de relation et d’échange.

En analysant plus précisément encore le terme Elohim grâce à la science millénaire de la kabbale, nous arrivons en outre à le traduire par l’expression « Dieu-mère-de-l ‘homme ». Or cette expression est fort intéressante puisque « au commencement de la Genèse – dit le Tiqquné Zohar XIX – il n’est question que d’Elohim (le Principe d’Immanence) qui désigne la Schekhinah (et non pas question du Principe transcendant, YHVH). Tout ce qui a été créé, à commencer par les Hayoth et les Seraphim (anges supérieurs), jusqu’au plus petit ver de terre, vit en Elohim et par Elohim. La création est l’oeuvre de la Schekhinah; elle en prend soin comme une mère de ses enfants. ».3

 

En d’autres termes, Elohim évoque l’image d’un Dieu qui, telle une mère, protège, couve et abrite son enfant (Sa création), se faisant matrice pour assurer son développement. C’est peut-être ce qui explique ce mot du psalmiste :

 

« Qu’il est précieux ton amour, ô Elohîm ! Les fils d’Adam : à l’ombre de tes ailes ils ont abri. Ils s’enivrent de la graisse de ta Maison, au torrent de tes délices, tu les abreuves ; en toi est la source de vie, par ta lumière, nous voyons la lumière. ».4

 

Dès lors, les Beni Elohim, les fils d’Elohim, évoquent ce rapport très étroit que toute créature connaît avec l’Ineffable dès son origine, Celui-ci lui apparaissant en tant que mère. Le rapport à la mère demeure d’ailleurs la première relation fondamentale, celle qui constitue tout individu.

 

Le nom employé par les kabbalistes pour désigner le chœur des Beni-Elohim évoque donc bien l’idée d’une relation constituante, tant au niveau de la créature elle-même que dans son rapport à l’Ineffable en tant que mère créatrice et protectrice. Nous voyons ainsi se dessiner de manière tout à fait évidente la fonction des Beni-Elohim qui nous amènent à développer diverses formes de relations qui nous permettent ultimement de mieux sentir le lien étroit qui nous relie à l’Ineffable, créateur de toute chose. En ce sens, ils interviendront de manière privilégiée au niveau de toute dynamique qui nous permettra établir avec nous-mêmes, avec les autres et avec le Tout-Autre.

 

  • 1- Allendy, René, Le Symbolisme des Nombres, Éditions Traditionnelles, Paris, 1983.
  • 2- Warrain, Francis, La Théodicée de la Kabbale, Guy Trédaniel – Éditons Véga, Paris, 1984.
  • 3- Schaya, Léo, L’homme absolu selon la Kabbale, Dervy-Livres, Paris, 1988.
  • 4- Psaume 36 (35), 8-10 (version Chouraqui).