Pour bien saisir la nature précise de leur intervention, nous devons d’abord insister sur le fait qu’ils sont très étroitement associés à l’archétype incarné par le cercle zodiacal. Or, selon les anciens, le cercle zodiacal permet à l’homme d’accéder à une connaissance de lui-même, mais aussi de la voie particulière sur laquelle Dieu l’invite à cheminer pour qu’il puisse progressivement communier à Sa réalité. Pensons à ce titre au zodiaque célèbre de Marcellus Palingenius, ce Zodiaque de la vie humaine ou Préceptes pour diriger la conduite et les mœurs des hommes, qui décrit l’évolution de l’âme, étape par étape, sur le chemin de l’illumination. Certains hermétistes soulignent d’ailleurs qu’il est constitué de douze signes, un nombre correspondant, dans la tradition kabbalistique, à la lettre LaMeD (la douzième lettre de l’alphabet hébreu). Or nous savons que cette lettre LaMeD est issue d’un ancien idéogramme représentant un aiguillon par lequel les conducteurs de bœufs guidaient autrefois leurs troupeaux, leur indiquant le chemin à suivre et les voies à ne pas emprunter.
Le mot LaMeD [LaMeD–MeM–DaLeTh] lui-même, signifie littéralement instruire, enseigner ou apprendre et c’est pourquoi l’aiguillon était parfois associé dans la tradition hébraïque à l’image du maître (du pasteur) instruisant (aiguillant !) ses disciples (le troupeau) sur le chemin qu’ils devaient suivre pour atteindre leur réalisation. En ce sens, l’Ecclésiaste nous rapporte que :
« Les paroles du sage sont comme des aiguillons et comme des piquets plantés par les maîtres de troupeaux. ».
– Ecclésiaste XII, 11.
L’aiguillon revêt donc traditionnellement, une fonction de guide et devient un outil privilégié conduisant l’homme sur la voie de son accomplissement. À un autre niveau, la tradition de l’hermétisme associe également le chœur angélique des Chérubins à l’archétype incarné par Uranus. Or Uranus évoque fondamentalement une aptitude à s’ouvrir aux forces de l’amour exprimées par le Créateur (par Dieu) envers sa créature (envers l’homme). De cette ouverture jaillit alors une véritable sagesse qui illumine l’être tout entier. Insistons bien ici sur le fait que cette sagesse n’est pas un savoir intellectuel, mais un savoir absolu et spontané qui s’exprime chez celui dont la conscience participe désormais aux réalités divines. Par lui, nous cessons de cultiver une compréhension purement cérébrale, logique et analytique de l’existence pour développer, au contraire, une approche synthétisant toutes les données et transcendant toutes les formes pour arriver à la vérité. Il permet donc l’établissement d’une vision du tout et non de la partie. Considérant leur rapport très étroit avec le zodiaque et Uranus, nous pouvons donc en déduire que les Chérubins favoriseront fondamentalement une ouverture à Dieu et le développement d’une faculté à l’accueillir en son cœur, accédant ainsi à Sa connaissance et se laissant transformer dans l’instauration d’un nouvel ordre des choses. Pour mieux approcher encore ce chœur angélique, il est évidemment fort intéressant de considérer le nom hébreu employé par les kabbalistes pour le désigner. En effet, il s’agit du mot galgalim, la forme plurielle de galgal (GiMeL–LaMeD–GiMeL–LaMeD) un terme qui évoque une « roue ». Le symbolisme qui lui est associé sera donc particulièrement révélateur. Or, sachant que la roue est fondamentalement associée à une notion de mouvement, tout s’éclaire. En effet, elle est essentiellement un symbole du déplacement et de l’affranchissement des conditions de lieu et d’état comme le suggère le verbe hébreu Guilgal (GiMeL–LaMeD–GiMeL–LaMeD) lui-même qui signifie « mettre en œuvre », « remuer » ou « se métamorphoser ». Ainsi, « tandis que le cercle est considéré à l’origine comme statique, les rayons de la roue, en lui permettant de tourner, lui confèrent une valeur symbolique dynamique comparable à celle du Devenir. La roue symbolise souvent le soleil qui « roule » dans le ciel, comme le montre la coutume qui consistait autrefois, dans les campagnes, à faire rouler des roues en flammes lors du solstice d’été. Elle symbolise plus largement l’ensemble du cosmos et de ses développements cycliques. » 2 Toutefois, si elle évoque le mouvement, elle n’en est pas l’initiatrice puisque la force dynamique lui est conférée à partir de son moyeu situé au centre.
Ainsi, pour la tradition orientale, « c’est le vide du moyeu qui la fait tourner (Tao, 11). En ce centre, se tient le Chakra-vartî, celui qui fait tourner la roue. C’est le Bouddha, l’Homme universel, le Souverain. Les anciens rois de Java et d’Anglchor, étaient expressément qualifiés de Chakravartî. Ce moyeu vide est le point d’application de l’Activité céleste. ».
Pour la tradition hermétique, la roue incarne donc notre l’esprit (évoqué par le moyeu) qui s’est ouvert à la réalité divine dont il reçoit désormais la puissance illuminative qui, l’affranchissant de notre immobilisme mortifère, initie en nous un processus de transformation intérieure.
À ce titre d’ailleurs, Ézéchiel nous décrit dans l’une de ces visions, des roues à qui fut donné le nom de galgal.
« À ces roues on donna je l’entendis, le nom de « galgal » ».
-Ézéchiel X, 13.
II nous rapporte qu’elles étaient pleines d’yeux :
« Et les rouages sont pleins d’yeux autour de leur quatre rouages ».
-Ézéchiel X, 12
Or, plus que tout autre organe sensoriel, l’œil permet à l’homme d’appréhender la réalité vers laquelle il se tourne. Dans de nombreuses traditions religieuses ou initiatiques, il devint même le symbole de la connaissance divine. Il est alors l’organe de la vision intérieure permettant de contempler Dieu à travers le créé. C’est l’œil du cœur ou de l’esprit, une expression chère à tous les mystiques pour désigner l’outil de perception de la présence divine au sein de Sa création. Le fait que les roues soient couvertes d’yeux évoque donc une capacité à contempler la divinité. Précisons en outre que ces yeux ne se ferment jamais, envoyant ainsi une conscience perpétuelle des réalités divines. Par ailleurs, lorsqu’il est prononcé Gilgal, le mot hébreu (GiMeL–LaMeD–GiMeL–LaMeD) évoque également « un cercle de pierre », comme ceux qui furent érigés sur certains hauts lieux pour rendre hommage au Seigneur. Dans le livre de Josué, Gilgal désigne même ce cercle de pierres qui fut érigé pour commémorer l’intervention divine ayant permis au peuple hébreu de parvenir à la Terre promise :
« Ce fut le dix du premier mois que le peuple remonta du Jourdain et campa à Gilgal, à la limite est de Jéricho. Quant à ces douze pierres qu’on avait prises dans le Jourdain, Josué les érigea à Gilgal… afin que tous les peuples de la terre sachent comme est puissante la main du Seigneur. ».
-Josué IV, 19-20 ; 24.
Or ce cercle de douze pierres est fort éloquent sur un plan symbolique puisque sa forme géométrique évoque déjà un caractère matriciel. En outre, il s’inscrit dans une dynamique de libération et de réalisation (Josué l’érigea pour rendre grâce à Dieu d’avoir permis à son peuple d’entrer dans la Terre promise). En fait, ce Gilgal évoque l’aptitude de l’homme (en l’occurrence ici de l’Hébreu) à s’ouvrir à Dieu, lui permettant de s’affranchir de son immobilisme mortifère (évoqué par la condition d’esclavage dans lequel se retrouvait le peuple hébreu en Égypte) pour initier en son être un profond processus de transformation intérieure (suggérée par la quête de la Terre promise). En effet, l’érection d’un Gilgal est faite non seulement dans le but de remercier le Seigneur et de commémorer Son intervention, mais aussi pour se rendre plus réceptif à Son action. En ce sens, l’œil associé à la roue évoque la perception de Dieu qui transforme et fait mourir pour Lui ressembler. Dans la tradition judéo-chrétienne, la déification est d’ailleurs très étroitement associée à la vision béatifique qui est essentiellement une vision transformatrice. Dès lors, les Ophanim nous enseignent à nous ouvrir à l’Ineffable en étant attentif à ses signes, le Gilgal exprimant une volonté de L’accueillir pour qu’Il transforme le monde. Dans le même ordre d’idées, les textes védiques nous présentent la rotation permanente de la roue comme processus de renouvellement, un cycle transformateur. La roue des saisons, dans la métaphysique occidentale, le confirme d’ailleurs. Or la science chrétienne est toujours issue de la contemplation. Dans cette perspective, la roue devint l’emblème privilégié de sainte Catherine, la savante d’Égypte, patronne des philosophes au sens où Platon définissait la philosophie comme une contemplation des idées. Pensons enfin à la croix celte si fréquente dans les cimetières irlandais.
Cette croix traditionnelle comporte toujours un cercle à la croisée des axes vertical et horizontal. Or la mythologie celtique nous apprend que la roue est transformante. Plus encore, il existe une roue, celle du druide Mag Ruith, confectionnée avec l’if, un bois funéraire. Son apparition doit en principe marquer le début de l’apocalypse.
En effet, ceux qui la verront, nous apprend la légende, deviendront aveugles, ceux qui l’entendront deviendront sourds et ceux qui la toucheront mourront. Cela ne fait-il pas admirablement écho à la vision transformatrice dont les Galgalim sont l’incarnation ? Serait-ce cette roue qui apparaît avec le Christ en croix, celui qui permet que nous puissions contempler Dieu et qui nous introduit dans l’âge de l’Apocalypse ? Dans la’ même perspective, soulignons que la racine (GiMeL–LaMeD–GiMeL–LaMeD) forme également le mot Golgotha (GiMeL–LaMeD–GiMeL–LaMeD–TaV) désignant le lieu où le Christ fut crucifié. Or par sa mort sur la Croix, Il permit aux hommes de connaître la réalité divine, instituant leur en être une profonde alchimie devant les conduire progressivement à leur accomplissement. C’est d’ailleurs ce qu’il déclara lui-même à ses disciples :
« C’est votre intérêt que je parte ; car si je ne pars, le Paraclet ne viendra pas vers vous ; mais si je pars, je vous l’enverrai. […I Et quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous introduira dans la vérité tout entière ; car il ne parlera pas de lui-même, mais ce qu’il entendra, il le dira et il vous dévoilera les choses à venir. Lui me glorifiera, car c’est de mon bien qu’il recevra et il vous le dévoilera. Tout ce qu’a le Père est à moi. Voilà pourquoi j’ai dit que c’est de mon bien qu’il reçoit et qu’il vous le dévoilera. ».
-Jean XVI, 7 ; 13-15
Plus encore, chacun de ces Chérubins est en rapport étroit avec l’un des charismes recensés par la scolastique ancienne et dont saint Paul énumérait déjà, en son temps, une liste (non exhaustive) :
« Il y a, certes, diversités de dons spirituels, mais c’est le même Esprit ; diversité d’opérations, mais c’est le même Dieu qui opère tout en tous. À chacun la manifestation de l’Esprit est donnée en vue du bien commun. À l’un, c’est un discours de sagesse qui est donné par l’Esprit; à tel autre un discours de science, selon le même Esprit; à tel autre la foi, dans le même Esprit; à tel autre les dons de guérison, dans l’unique Esprit; à tel autre la puissance d’opérer des miracles; à tel autre la prophétie; à tel autre le discernement des esprits; à un autre les diversités de langues, à tel autre le don de les interpréter. ».
– 1 Corinthiens XII, 4-10.