Le nom du Séraphin MeHaSh (YaH) est constitué d’un radical composé des lettres MeM, Hé et ShIN à partir desquelles. Nous pouvons former le mot Shem (ShIN –MeM) désignant « le nom »,
«Ne Graina rien car je vais te libérer; Je t’ai appelé par ton nom [Shem], tu es à Moi I »
-Isaïe XLIII, 1
Mais aussi le terme sèh [ShIN – Hé ]; qui, sert à nommer « l’agneau ».
« maltraité, injurié, il n’ouvrait pas la bouche; pareil à l’agneau (sèh) qu’on mène à la boucherie… »
– Isaïe LIII, 7
Enfin, nous pouvons constituer le nom Moshèh (MeM–ShIN –Hé ), le nom de Moïse en hébreu. .Quant à la particule YaH, elle place ce radical dans une perspective de relation à Dieu. Pour comprendre la mission particulière de ce Séraphin, voyons donc plus précisément la signification symbolique de ces mots.
À. propos de ce qu’évoque le nom, rappelons d’abord qu’il est, pour la tradition hébraïque, un élément qui révèle la nature et l’essence profonde de l’être ou de la chose qu’il désigne. Plus encore, il atteste son existence:
« Ce qui fut a déjà été nommé »
-l’Ecclésiaste VI,10
Dans cette perspective, un homme sans nom n’est rien et c’est pourquoi Dieu menace parfois d’effacer le nom du pécheur ou, au contraire, de donner à- celui qui s’ouvre à Lui un nom éternel,
« Un nom qui vit pour les générations ».
– 1 Maccabées II, 51
Dans le même ordre d’idée, la loi du lévirat est destinée à prolonger le nom d’un défunt qui n’a pas laissé d’enfant mâle. Et parce qu’il n’a pas de fils, Absalom élève une stèle et y appose son nom.
– Deutéronome XXV, 6-7
Connaître le nom d’une personne confère dès lori la possibilité d’exercer un certain pouvoir sur elle. C’est d’ailleurs en ce sens que les envoyés de Dieu refusent bien souvent de livrer leur nom. Ainsi, Jacob interrogea en vain l’Ange du Seigneur contre lequel il lutta toute une nuit
« Jacob fit cette demande: « Révèle-moi ton nom, je te ‘prie », mais il répond:. « Et pourquoi me demandes-tu mon nom. ? » et, là-même, il le bénit. ».
– Genèse XXXII, 30. 47-
Citons aussi Manoah qui adressa la même question au messager lui annonçant la naissance de son fils Samson.et celui-ci lui répondit:
«Pourquoi t’informer de mon nom ? Il est merveilleux. »
– Juges XIII, 18
Pour les’ Égyptiens de l’Antiquité, le nom personnel était également plus qu’un signe d’identification. En effet, il participait à l’essence la plus intime de l’être. Ainsi, lorsqu’on disait à un dieu, dans les jeux de mots innombrables des textes mythologiques, « Tu fais telle chose Sous tel de tes noms », on croyait saisir par là une connexion étroite entre le nom et la propriété exprimée. C’est d’ailleurs en ce sens que décréter à propos d’une personne que son nom ne serait plus parmi les vivants était la plus radicale des condamnations à mort. Écrire son nom ou prononcer la faisait par contre vivre ou survivre. On retrouve également la même tradition chez les Arabes qui considèrent le grand nom de Dieu comme le symbole de son essence cachée et l’écriture comme l’expression de la Révélation. Ceci va d’ailleurs jusqu’au point de faire du roseau (qalam), grâce auquel on écrit, la première des créations de Dieu.
Considérant l’enjeu des Séraphins consistant à se placer au service de Dieu pour assurer Sa présence au sein du créé; nous pouvons en déduire que le Séraphin MeHaSh (YaH) nous invite à nous consacrer ce que nous sommes à Dieu. En d’autres termes nous sommes invités à placer notre être même au service de l’amour. À ce titre, le second ternie que nous avons extrait du radical, le mot sèh (ShIN– Hé), désignant « l’agneau », est particulièrement éloquent. En effet,
« l’agneau symbolise d’abord l’Israélite, membre du troupeau de Dieu »
-Isaïe 40, 10-11.
Mais surtout, avec une constance qu’aucun événement ne vient altérer, jusqu’à nos jours, l’agneau de lait, des juifs aux Chrétiens, et de ceux-ci aux musulmans, est la victime sacrificielle de toutes les occasions, et surtout du Renouveau où se succèdent Pâque juive, Pâques chrétiennes, mort et résurrection du christ agneau de Dieu, et sacrifice du Ramadan, ce Kurban qui, dans la langue courante au Moyen-Orient devient l’apostrophe affectueuse par laquelle on salue l’ami véritable, comme on lui dirait « frère »…». L’agneau est donc celui qui sacrifie ce qu’il est sur l’autel de l’Amour (qui Offre ce qu’il est au service de l’amour). Là tradition chrétienne verra d’ailleurs en lui l’image du Christ lui-même sacrifié pour le salut des hommes, reprenant les mots de saint Jean-Baptiste qui déclara à son sujet
« Voici l’agneau de Dieu » – Jean I, 36.
Dès les premiers siècles, elle fît de l’agneau immolé le symbole privilégie du Christ donnant sa vie par amour pour les hommes, comme le remarque fort pertinemment Louis-Charbonneau Lassay
« L’Église, en ce temps-là, et même longtemps après qu’elle eût reçu de Constantin la liberté de vivre au grand soleil, s’osait pas encore représenter sur l’instrument du plus infamant des supplices romains, le corps adoré de son Dieu. Ce fut l’agneau, son emblème de choix, qui prit place au centre de l’arbre empourpré du sang rédempteur. Ce fut là, si l’on peut dire, le premier crucifix, le précrucifix des chrétiens. J’en cite ici comme exemple une croix du Musée National de Ravenne, qui est du cinquième siècle, et l’Agneau du ciborium de Saint-Marc de Venise, du sixième siècle, qui est placé entre les deux larrons crucifies. ».
– Charbonneau-Lassay, Louis, Le Bestiaire du Christ, L. J. Todt Reprint Milano, 1974.
Le Moyen .Âge reprit également abondamment l’image de l’agneau immolé comme symbole du Christ, le représentant le plus souvent debout, saignant à flot de sa large blessure sur la poitrine et, plus rarement, de sa gorge comme dans le cas des splendides tapisseries de l’Apocalypse de la cathédrale d’Angers, dessinées vers 1374 par Hennequin de Bruges. Cette image de l’agneau immolé est particulièrement intéressante car le sang est étroitement associé à l’intériorité de l’être. Il est donc en rapport étroit avec l’essence profonde. À ce titre d’ailleurs, c‘est dans moelle rouge de l’os que sont produites la plupart des cellules sanguines (tous les globules rouges, les plaquettes et la grande majorité des globules blancs). Or l’os a toujours symbolisé l’essence profonde de l’être.
Dès lors, l’agneau immolé évoque l’homme qui offre sa nature profonde, qui fait un total don de son être, devenant l’emblème même du chrétien, un emblème institué par le Christ lorsqu’il déclara à ses disciples:
« Allez voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu’ de loups. ».
– Luc X, 3
Pensons également au dernier entretien qu’il eut avec Pierre:
«Quand ils eurent déjeuné, Jésus dit à Simon-Pierre:. « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu plus que ceux-ci ? » II lui répondit: « Oui, Seigneur tu sais que je ‘t’aime. » Jésus lui répondit: « Pais mes agneaux. » ».
– Jean XXI, 15
Plus encore, si le sang est en étroit rapport avec l’essence profonde de l’être, cette essence est également une fenêtre ouverte sur les réalités dé l’Esprit. Ainsi, le fluide sanguin a toujours été considéré, dans les principales traditions initiatiques, comme un support privilégié pour s’ouvrir à la présence de Dieu. Celui qui offre son sang, qui offre sa nature profonde, faisant ainsi un total don de son être dans une dynamique amoureuse, contribue dès lors à assurer la présence divine au sein du créé. Or c’est bien là tout l’enjeu du Séraphin MeHaSh (YaH). Enfin, nous avons extrait du radical le nom MoShèH, (MeM–ShIN– Hé), le nom de Moïse en hébreu. En ce sens, il est éloquent de rappeler que c’est à Moïse que le Seigneur révéla son nom, se donnant ainsi pleinement à son peuple afin d’être présent parmi eux.
Dès lors, « les Patriarches (Abraham, Isaac et Jacob) ont marchés, les yeux fixés sur l’Invisible, adorant un Dieu sans nom, sans détermination d’aucune sorte, irreprésentable même verbalement; dans la foi la plus dépouillée et la plus absolue du mystère. Une fois cependant, Jacob, au gué de Jabbok, avait demandé à Dieu son nom, mais s’était vu opposer une fin de non-recevoir. Moïse à son tour ose interroger Dieu. Et, cette fois, Dieu répond. ».
– Varillon, ‘François, Éléments de doctrine chrétienne, op. cit,
Certes, en révélant Son nom, Dieu laissa cependant subsister Son mystère. « Comment traduire les quatre lettres que Moïse entendit jaillir des flammes du buisson: IHVH, Yahvé. ? Faut-il entendre: Je suis qui suis, ou: Je suis qui je suis ? « Laissant discuter entre eux les exégètes, écrit le P. De Lubac (et peut-être trouver une autre explication), pourquoi ne retiendrions-nous pas à la fois les doux sens ? Il se peut que le premier soit difficile à justifier par la grammaire et par les vraisemblances de l’histoire. Il se peut que le second paraisse un peu maigre pour la solennité du récit. Mais ne sont-ils pas, au fond, très proches l’un de l’autre? La première formule est grande. Exprimant une vérité métaphysique, elle donne en un raccourci paradoxal et saisissant une définition abstraite et paradoxale de « l’Être suprême », qui le met à part de tout autre en même temps qu’elle se refuse à Lui assigner une borne. La seconde formule n’est pas moins précieuse. Elle insinue une personnalité concrète, qui nous échappe. Elle est pleine d’une réserve sacrée. Elle met en relief, de la façon la plus simple et la plus forte, le mystère de l’Être. Elle constitue le premier manifeste contre toute idolâtrie en pensée. D’un côté, l’énigme persistante de Celui qui, dans sa souveraineté, se dérobe. De l’autre, une pure lumière, partout répandue, s’offrant sans jalousie, mais trop pure pour notre regard. »
« Yahvé peut encore se traduire: Je serai qui je serai (sens d’un imparfait futur, exprimant une action en devenir), ce qui signifie: On verra qui je suis, je me révélerai dans l’histoire. L’hiphil hébreu a en outre un sens causatif, qui permet de traduire: Je suis (ou serai) celui qui fait (ou-fera) être. Ces quatre sens ne sont pas exclusifs les uns des autres. Dieu affirme à la fois la plénitude de son Être, le mystère inviolable de sa Transcendance, la Révélation qu’Il fait de Lui-même historiquement, et son privilège d’être l’unique Source de tout ce qui est, Il est à la-fois le Dieu caché et le Dieu qui se révèle, plus exactement peut-être qui se révélera progressivement et ne cessera pas d’agir dans l’histoire à laquelle sa Transcendance ne l’empêche pas, tout au contraire, d’être Immanent. »
ibid.
En donnant son nom à Moïse, Dieu exprima donc Sa volonté d’être au service de l’amour mais Il demeura cependant, en se donnant, le Tout-autre, maintenant ainsi cette altérité nécessaire pour que l’amour puisse s’exprimer (maintenant cette distance Lui permettant d’assurer Sa présence amoureuse au sein du créé). En se sens, nous pourrions ajouter que si le Séraphin MeHaSh (YaH) nous invite à consacre notre être (notre nom) au Tout-Autre, il nous enseigne également que nous resterons toujours fondamentalement étranger à Lui (bien que vivant une expérience commune), cette altérité permettant l’expression de l’amour: