ANALYSE KABBALISTIQUE DE :

Le nom du Trône H’aHOu (YaH) est constitué d’un radical composé des lettres CheTh, He et VaV à partir desquelles nous pouvons former le mot havah (CheThVaV He) , le nom hébreu d’Ève. Ce même mot signifie également « vivre » et désigne « la ferme ». Quant à la particule YaH (YodHe), elle introduit ces réalités dans une perspective de relation à Dieu. Pour saisir l’enjeu auquel ce Trône se réfère, entreprenons donc l’analyse symbolique de ces mots.

À propos d’Ève tout d’abord, le texte de la Genèse nous précise qu’Adam

« appela sa femme “Ève” parce qu’elle fut la mère de tous les vivants. ».

– Genèse III, 20.

Elle est donc étroitement associée au concept de fécondité, ce que nous confirme d’ailleurs le fait que son nom signifie également « vivre » et qu’il désigne « la ferme », un lieu de culture et d’élevage étroitement associé à la notion de fécondité. En effet, Ève est d’abord mère, matrice qui donne la vie ou, plus précisément, qui la concrétise sur le plan terrestre (seul Dieu donnant la vie), accomplissant le premier commandement que Dieu adressa à l’homme et à la femme après les avoir créés:

« Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre… ».

– Genèse I, 28.

De manière plus précise, la tradition de l’hermétisme chrétien perçoit en Ève une image symbolique du corps. En effet, rappelons que, pour les hermétistes, Adam et Ève ne sont pas deux individus distincts, mais les principes masculin et féminin d’un seul et même être. Cette réalité est du reste fort bien suggérée dans la tradition hébraïque par le fait que l’homme en tant que mâle est désigné par le mot Ish (ALePhYoDSchIN) alors que la femme est appelée Isha (ALePhSchINHe) deux termes qui ont le même radical, à forme masculine dans un cas, à forme féminine dans l’autre. Or l’identité de ces deux noms traduit bien l’identité essentielle entre les deux êtres qui sont ainsi désignés. Saint Jérôme a d’ailleurs tenté, dans sa version latine de la bible, de faire transparaître cette analogie Ish-Isha, mais le résultat ne fut pas très probant. En effet, il employa le terme vir pour désigner l’homme et virago pour désigner la femme. Au seizième siècle, on a également tenté de mettre en exergue l’étroite parenté entre l’homme et la femme, mais le résultat ne fut pas, à nouveau, très heureux:

« Celle-ci sera appelée “hommesse”, car elle fut tirée de l’homme, celle-ci ! ».

– Citée par L.-C1. Filion in La Sainte Bible (texte latin et traduction française) commentée d’après la Vulgate, tome I, Librairie Letouzey et Ané, Paris, 1928, neuvième édition.

Ainsi donc, Adam et Ève incarnent en l’homme les principes masculin et féminin. Or le principe masculin a toujours été ontologiquement porteur d’une dimension émissive et active. Il est d’ailleurs intéressant de constater, sur un plan purement biologique, que le spermatozoïde (la gamète mâle) est actif, mobile et émetteur. En effet, c’est le spermatozoïde qui, propulsé par sa queue en forme de fouet (le flagelle) remonte l’utérus pour atteindre l’ovule et le pénétrer au niveau des trompes de Fallope. De même, la verge est active et émissive et c’est bien elle qui pénètre le vagin pour y déverser la semence de vie. L’éjaculation nous révèle d’ailleurs l’orientation même du principe masculin comme rayonnement ou déversement vers l’extérieur.

En ce sens, les anciens l’ont associé à l’esprit qui possède également une nature émissive et active. En effet, il est la dimension intérieure de l’être, le dedans de toute chose. Or, en tant que pure intériorité, il est naturellement tourné vers l’extérieur, sa dimension complémentaire. En ce sens, il transmet vers le corps, vers l’extérieur, le pouvoir jaillissant et fécondant de Dieu. À ce titre, l’esprit est même communément représenté sous la forme d’un Soleil resplendissant, une source de lumière et de chaleur qui incarne également, dans de nombreuses traditions, le principe actif et fécondant. Quant à Ève, elle a toujours été associée au corps, une analogie qui n’échappa pas à saint Paul lorsque, définissant la nature des relations conjugales entre l’homme et la femme, il écrivit:

« Les maris doivent aimer leurs femmes comme leurs propres corps. Aimer sa femme, c’est s’aimer soi-même. Car nul n’a jamais haï sa propre chair; on la nourrit au contraire en en prenant bien soin. » .

– Ephésiens V, 28-29.

En effet, le pôle féminin est ontologiquement porteur d’une dimension réceptive et matricielle. Pour reprendre notre comparaison avec le plan biologique, il est aisé de constater que l’ovule est passif, immobile et récepteur. C’est le spermatozoïde qui migre vers lui et qui le pénètre. Or, nous le verrons, le corps possède également une nature ontologiquement réceptive. En effet, en tant que pure extériorité, il est appelé à se tourner vers l’intérieur. Ainsi, si l’esprit transmet la vie, le corps la reçoit et la concrétise. Dans la même perspective, il peut être intéressant d’étudier l’étymologie hébraïque du nom Ève (CheThVaV He). En effet, la lettre CheTh , issue d’un ancien idéogramme représentant une barrière, une haie ou une clôture, évoque un processus de délimitation et, conséquemment, un espace clos. La lettre VaV, dont l’ancien idéogramme représente un crochet, évoque, quant à elle, l’établissement d’un rapport étroit entre deux éléments, chacun étant dorénavant uni à l’autre. Quant à la lettre He, issue d’un ancien idéogramme représentant une fenêtre, elle évoque la transmission d’une force vivificatrice. Dès lors, le terme havah (CheThVaV He) évoque un espace clos (CheTh ) placé en communion avec une réalité (VaV) qui lui transmet sa puissance de vie (He). Or n’est-ce pas là précisément l’image du corps qui est un lieu clos, parfaitement délimité et fini (CheTh ), étroitement uni (VaV) à l’esprit dont il est la contrepartie extérieure et dont il reçoit le souffle de vie (He) ?

Considérant ce qui précède, nous pouvons en déduire que le Trône H’aHOu (YaH) nous invite à assumer nos limites en concrétisant, dans leur cadre, la formidable fécondité dont nous sommes porteurs. À ce titre, son enjeu est admirablement illustré par la parabole des talents enseignée par le Christ:

« C’est comme un homme qui, partant en voyage, appela ses serviteurs et leur remit sa fortune. À l’un il donna cinq talents, deux à un autre, un seul à un troisième, à chacun selon ses capacités, et puis il partit. Aussitôt celui qui avait reçu les cinq talents alla les faire produire et en gagna cinq autres. De même celui qui en avait reçu deux en gagna deux autres. Mais celui qui n’en avait reçu qu’un s’en alla faire un trou en terre et enfouit l’argent de son maître. Après un long terme, le maître de ces serviteurs arrive et il règle ses comptes avec eux. Celui qui avait reçu les cinq talents s’avança et présenta cinq autres talents: “Seigneur, dit-il, tu m’as remis cinq talents: voici cinq autres talents que j’ai gagnés.”- C’est bien, serviteur bon et fidèle, lui dit son maître, en peu de choses tu as été fidèle, sur beaucoup je t’établirai; entre dans la joie de ton seigneur.” Vint ensuite celui qui avait reçu deux talents: “Seigneur, dit-il, tu m’as remis deux talents: voici deux autres talents que j’ai gagnés.”- C’est bien, serviteur bon et fidèle, lui dit son maître, en peu de choses tu as été fidèle, sur beaucoup je t’établirai; entre dans la joie de ton seigneur.” Vint enfin celui qui détenait un seul talent: “Seigneur, dit-il, j’ai appris à te connaître pour un homme âpre au gain: tu moissonnes où tu n’as point semé, et tu ramasses où tu n’as rien répandu. Aussi, pris de peur, je suis allé enfouir ton talent dans la terre: le voici, tu as ton bien.” Mais son maître lui répondit: “Serviteur mauvais et paresseux ! tu savais que je moissonne où je n’ai pas semé, et que je ramasse où je n’ai rien répandu ? Eh bien ! tu aurais dû placer mon argent chez les banquiers, et à mon retour j’aurais recouvré mon bien avec un intérêt. Enlevez-lui donc son talent et donnez-le à celui qui a les dix talents. Car à tout homme qui a, l’on donnera et il aura du surplus; mais à celui qui n’a pas, on enlèvera ce qu’il a. Et ce propre à rien de serviteur, jetez-le dehors, dans les ténèbres: là seront les pleurs et les grincements de dents.” ».

– Matthieu XXV, 14-30.

Dans cette parabole, le Christ insiste sur la nécessité de concrétiser ce que Dieu nous a donné (les talents que le Maître nous a confiés) et ce, sans vouloir faire plus que ce que nous pouvons faire (ainsi, celui qui a reçu cinq talents en produira cinq autres et celui qui en a reçu deux en produira deux autres). En l’enfouissant dans la terre, le mauvais serviteur évoque celui qui, certes, accueille la formidable puissance de vie que Dieu lui prodigue à chaque instant de son existence, mais qui ne la concrétise pas dans des œuvres tangibles (il ne fait rien avec). Or, « à tout homme qui a [en ayant su concrétiser les ressources qui lui était données], l’on donnera et il aura du surplus; mais à celui qui n’a pas [qui n’a pas su concrétiser les ressources qui lui était données], on enlèvera ce qu’il a [les ressources qui lui était données]. ».

À ce titre, le Trône H’aHOu (YaH) nous aide donc à assumer pleinement notre condition existentielle en sachant concrétiser nos potentialités (aussi limitées soient-elles). En d’autres termes, il nous amène à faire quelque chose (à ne pas rester passif et inactif) car c’est en réalisant quelque chose que nous pourrons connaître véritablement ce dont nous sommes capables et nous assumer pleinement.

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