Le nom du Trône LEoU (YaH) est constitué d’un radical composé des lettres LaMeD, ALePh et VaV à partir desquelles nous pouvons former le mot Lav (LaMeD, ALePh et VaV ) signifiant :« non » ou « pas » et qui désigne plus généralement « la négation », «l’interdiction » ou « la défense». Quant à la panicule YaH, elle place ce radicale dans une perspective de relation à Dieu. Pour mieux saisir la signification profonde du nom composé à partir de ce radical, nous allons donc nous interroger tout d’abord sur le sens du mot Lav.
À ce titre, « la négation », «l’interdiction.» ou « la défense » évoquent, tout naturellement ces temps primordiaux où Dieu plaçant l’homme dans le jardin d’Éden, lui formula l’interdiction suivante, Ia première de son -histoire.:
« Tu peux manger de tous les arbres du jardin. Mais de l’arbre de la connaissance du bien et du mal tu ne Mangeras pas, car le jour où tu en mangeras, tu deviendras passible de mort »
– Genèse 11, 16-17.
Certains ont interprété ce commandement somme une menacé adressée par un Dieu jaloux de ses prérogatives et nullement disposé à les partager par crainte d’être détrôné. Évidemment, une telle façon de percevoir la situation est totalement inacceptable. L’hermétiste voit, au contraire, une mise en garde bienveillante invitant l’homme à assumer pleinement ses limites existentielles sans chercher à les outrepasser ou à les détruire.
En effet, il faut savoir que l’arbre de la connaissance du bien et du mal incarne la puissance divine en tant que principe organisateur structurant l’univers selon des lois permettant d’assurer l’ordre et l’harmonie, supports essentiels à l’expression de toute vie. À ce titre d’ailleurs, le mot que nous avons traduit en français par « connaissance » est le terme hébreu Daath (DaLeTh–AYiN–TaV) , un anagramme du verbe itéd ( AYiN–TaV–DaLeTh) signifiant « destiner » ou « être destiné». Plus encore, nous pouvons extraire de ce mot le terme dat (DaLeTh–TaV) désignant « la religion », « la règle » ou « la loi ». Ainsi, l’arbre. de la connaissance du bien et du mal est bien en étroite relation avec la loi et le destin. A ce propos, les commentateurs de la Bible de Jérusalem nous précisent d’ ailleurs que cette « connaissance que Dieu se réserve n’est ni l’omniscience ni le discernement moral, mais la faculté de décider ce qui est bien ou mal», c’est-à-dire d’établir nos propres valeurs comme étalon et d’ériger nos propres lois (ses propres interdictions et conséquemment nos propres limites). Sous cet éclairage, il est aisé de comprendre la raison pour laquelle Dieu émet une réserve quant aux fruits de cet arbre;
«•.Et YHVH Elohim fit à l’homme [à Adam] ce commandement: » Tu peux manger de tous les arbres du jardin. Mais de l’arbre de la connaissance du bien et du mal tune mangeras pas, car le jour où tu en mangeras, tu deviendras passible de mort. » ».
– Genèse II, 16-17.
En effet, manger de l’arbre de la Connaissance du bien et du mal aurait permis à l’homme d’établir ses propres lois, ordonnant ainsi son existence (et celle de l’univers tout entier) selon ses propres valeurs. Or c’était là une entreprise plus que périlleuse car, n’étant pas encore pleinement ouvert à l’amour, l’univers allait dès lors être assujetti à un principe différent et limité, à l’image de l’homme lui-même. En lui interdisant de manger du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, Dieu chercha donc à le préserver d’un enfermaient dans sa propre finitude. Malheureusement, il ne tint pas compte de cette interdiction et mangea du fruit défendu, s’aliénant ainsi dans le monde de la finitude (le monde de la mort).
Plus encore, le fait de manger ce fruit symbolisant la puissance même de Dieu nous apprend que l’homme refusa d’assumer sa dimension de créature en cherchant à devenir comme Dieu. C’est d’ailleurs ce que nous confirment pleinement les propos du serpent:
« Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu sait que le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux qui connaissent le bien et le mal. « »
– Genèse III, 4-5.
Il chercha donc à s’identifier à l’Autre et n’assuma pas ses propres limites. Cette lecture du récit nous permet d’éclairer la signification de l’interdiction divine:
«Ne sois pas moi, mais sois toi-même ».
Dans un autre ordre d’idée, pensons également au décalogue (aux dix commandements) qui fixe les limites dans lesquelles l’homme devra inscrire son existence. Le livre du Deutéronome nous les précise; – Deutéronome V, 7-21.
- Tu n’auras pas d’autres dieux devant moi. Tu ne te feras aucune image sculptée de rien qui ressemble à ce qui est dans les cieux, là-haut, ou sur la terre ici-bas, ou dans les eaux au-dessous de la terre. Tu ne te prosterneras pas devant ces dieux ni ne les serviras. Car moi, le Seigneur ton Dieu, je suis un Dieu jaloux, qui punis la faute des pères sur les enfants, les petits-enfants et les arrière – petits – enfant, pour ceux qui me haïssent, mais qui fais grâce à des milliers pour ceux qui m’aiment et gardait mes commandements.
- TU ne prononceras pas le nom du Seigneur ton Dieu à faux, car le Seigneur ne laisse pas impuni celui qui prononce son nom à faux.
- Observé le jour du sabbat pour le Sanctifier, comme te la commandé le Seigneur ton Dieu. Pendant six jours tu travailleras et tu feras ton ouvrage, mais le septième jour est un Sabbat pour le Seigneur ton Dieu. Tu n’y feras aucun ouvrage, toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni ton bœuf, ni ton âne, ni l’étranger qui est dans tes portés. Ainsi, comme toi-même, ton serviteur et ta servante pourront se reposer. Tu te souviendras que tu as été en servitude au pays d’Egypte et que le Seigneur ton Dieu t’en a fait sortir d’une main forte et d’un bras étendu; c’est pourquoi le Seigneur ton Dieu t’a commandé de garder le jour du sabbat.
- Honore ton père et ta mère, comme te l’a commandé le Seigneur ton, afin que se prolongent tes jours sur la terre que le Seigneur ton Dieu te donne.
- Tu ne tueras pas.
- Tu ne commettra pas d’adultère.
- Tu ne voleras pas.
- Tu ne porteras pas de témoignage mensonger contre ton prochain.
- Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain.
- Tu ne désireras ni sa maison, ni son champ, ni son serviteur ou sa servante, ni son bœuf ou son âne: rien de ce qui est à, ton prochain.
Une fois encore, ces limites ne sont pas édictées par un Dieu cherchant à maintenir l’homme dans sa finitude. Au contraire, c’est en respectant ces limites édictées par Dieu qu’il pourra se rapprocher de Lui pour communier de plus en plus à Sa réalité en participant Progressivement à Son immensité et à Son éternité (s’affranchissant conséquemment de sa finitude). Dans la même perspective, l’homme devait également respecter, en Égypte antique, un certain nombre de lois, ceci lui permettant par la suite de ressusciter dans la lumière. d’Osiris (s’affranchissant ainsi du monde de la finitude, du inonde de là mort); En effet, arrivant dans la salle du jugement, il devait faire une confession négative devant quarante-deux divinités:
- « Salut, dieu grand, Seigneur de vérité et de Justice,
- Maître puissant !
- Voici que j’arrive devant toi !
- Laisse-moi donc contempler ta rayonnante beauté !
- Je connais ton Nom magique et ceux de quarante-deux divinités qui dans la vaste Salle de Vérité-justice t’entourent le jour où l’on fait le compte des péchés devant Osiris.
- Le sang des pécheurs leur sert de nourriture.
- Ton Nom est: « Le-Seigneur-de-l’Ordre-de-l’UniVers-Dont-les-deux-Yeux-sont-les-deux-déesses-soeurs « .
- Voici que j’apporte dans mon Cœur la Vérité et la Justice, car j’en ai arraché tout le Mal..
- Je n’ai pas causé de souffrance aux hommes.
- Je n’ai pas usé de violence contre ma Parenté.
- Je n’ai pas substitué l’Injustice à la Justice.
- Je n’ai pas fréquenté les méchants.
- Je n’ai pas commis de crimes.
- Je n’ai pas travaillé pour moi avec excès.
- Je n’ai pas intrigué par ambition.
- Je n’ai pis blasphémé les dieux.
- Je n’ai pas privé l’indigent de sa subsistance.
- Je n’ai pas commis d’actes exécrés des dieux.
- Je n’ai pas permis qu’un serviteur fût maltraité par son maître.
- Je n’ai pas fait souffrir autrui.
- Je n’ai pas provoqué de famine.
- Je n’ai pas fait pleurer les hommes mes semblables.
- Je n’ai pas tué ni ordonné de meurtre. J
- e n’ai pas provoqué de maladies parmi les hommes.
- Je n’ai pas dérobé les offrandes dans les temples.
- Je n’ai pas volé les pains des dieux.
- Je n’ai pas dérobé les offrandes destinées aux Esprits sanctifiés.
- Je n’ai pas commis d’actions honteuses dans l’enceinte sacro-sainte des temples.
- Je n’ai pas diminué la ration de l’offrande.
- Je n’ai pas essayé d’augmenter mes domaines en usant de moyens illicites ni d’usurper les champs d’autrui.
- Je n’ai pas manipulé les poids de la balance ni son fléau.
- Je n’ai pas enlevé le lait à la bouche de l’enfant.
- Je ne me suis pas emparé du bétail sur les prairies.
- Je n’ai pas pris au piège de volaille destinée aux dieux.
- Je n’ai pas pêché de poisson avec des cadavres de poissons.
- Je n’ai pas obstrué les eaux au moment où elles devaient couler.
- Je n’ai pas éteint la flamme d’un feu au moment où il devait brûler.
- Je n’ai pas violé les règles sur les offrandes de viande.
- Je n’ai pas pris possession du bétail appartenant aux temples des dieux.
- Je n’ai pas empêché un dieu de se manifester.».
– Leloup, Jean-Yves, Les Livres des Morts tibétain, égyptien, chrétien, Albin Michel, Paris, 1997.
Nous pouvons donc en déduire que le Trône LEoU (YaH) nous invite à accepter le fait que nous sommes un être limité (une créature) empreint d’impuissance, de faiblesse et de vulnérabilité et non pas un surhomme ou un héros (des êtres idéaux qui ne sont en fait que la projection compensatoire d’un ego en mal d’avoir, de pouvoir ou de valoir). Il nous apprend ainsi à ne plus vouloir être ce que nous ne sommes pas et à accepter nos propres limites. (les limites que Dieu nous a fixées). En cherchant à abattre nos limites (pour « devenir comme des dieux » selon le mot même de Satan), nous nous s’exposerions en effet à l’influence des forces mortifères qui nous entraîneraient vers le chaos (vers le néant). Plus encore, LEoU (YaH) nous fait prendre conscience qu’en assumant pleinement nos limites, sans chercher à les outrepasser ou à les détruire, celles-ci, loin d’être une source d’enfermement et d’aliénation, constituent le gage le plus sûr nous permettant de transcender notre finitude et de participer à l’Illimité (en communiant avec la divinité).