L’Ange Chérubin ALaD (YaH), l’Ange TRÔNES LEoU (YaH) et la lettre DaLeTh correspondent sur l’arbre de vie au quatorzième sentier (Chokmah–Binah) que les hermétistes associent à la Conscience de l’illumination (Sekhel Meïr). Certains auteurs ont également traduit ce terme par l’expression Intelligence Illuminante. Les commentateurs du Sepher Yetzirah nous rapportent, quant à eux, que «le quatorzième sentier est l’Intelligence Illuminante et on l’appelle ainsi car c’est ce Chasmal qui est le fondateur des idées cachées et fondamentales de la Sainteté et de leurs phases de préparation. ».
Selon la tradition hermétique, ce sentier est particulièrement important puisqu’il relie les Sephiroth Chokmah et Binah et forme ainsi la base d’un triangle constitué des trois premières Sephiroth. Pour cette raison, il est d’ailleurs considéré par les kabbalistes comme le fondement de toute manifestation et le lieu où s’accomplit l’incarnation de la Cause des Causes, c’est-à-dire de Kether.
En ce sens, il nous permet de nous y rend sensible, de contribuer par nos œuvres à la réalisation des desseins divins. En effet, en tant que support d’incarnation pour la puissance divine, elles constituent dès lors une véritable source de bénédiction et jouent un rôle que nous n’hésitons pas à qualifier de sacramentel. Ainsi, si nous avions mis en rapport le douzième sentier (Kether–Binah) avec la fonction prophétique, nous pouvons associer ce quatorzième sentier (Chokmah–Binah) au travail apostolique sur lequel repose essentiellement l’œuvre spirituelle de l’Eglise. Dès lors, je terme « Eglise » n’évoque plus une simple confession religieuse mais plutôt le monde tout entier qui, rénové et régénéré, participe alors pleinement aux réalités divines. Or cette œuvre de régénération et de communion avec les mondes divins repose sur l’action des apôtres que le Christ envoya dans le monde en disant:
« Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant an nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit. ». – Matthieu XXVIII, 18-20
En ce sens, le terme « apôtre » se réfère à tous ceux qui, depuis les temps bibliques, assurent la continuité de l’œuvre confiée par le Christ à ses disciples. Il s’agit évidemment des successeurs actuels du premier collège apostolique, disposant des mêmes charges et des mêmes pouvoirs s’exprimant dans l’administration des sacrements. Ces sacrements (le baptême, la confirmation, le mariage, l’eucharistie, l’ordre, la pénitence et l’extrême-onction) illustrent donc, de manière éloquente, tout l’enjeu du quatorzième sentier visant, nous l’avons précisé, à accomplir parfaitement les desseins divins. En ce sens, ils sont de véritables actes opératoires apportant aux hommes les outils nécessaires à l’œuvre de réconciliation entreprise par le Christ, conformément à la volonté de son Père. En d’autres termes, ils constituent autant de moyens permettant de passer du monde profane (du monde déchu) au monde sacré (au monde régénéré). C’est d’ailleurs en ces termes éloquents que saint Cyprien parle du baptême: « Quant l’eau régénératrice eut effacé les taches de mon passé, et que mon cœur dés lors purifié se fut rempli d’une lumière d’en haut, lorsqu’un Esprit venu du ciel m’eut donné une seconde vie, et fait de moi un homme nouveau, ce fut un merveilleux changement; au doute succéda la certitude; au mystère la clarté; la lumière aux ténèbres… ».
Il serait certainement trop ardu d’entreprendre ici l’analyse exhaustive des liens existant entre l’acte sacramentel, le quatorzième sentier et la lettre DaLeTh lui correspondant. Mentionnons toutefois que tout sacrement doit, pour être valide, respecter certains rites (matière et forme). Dans le cas du baptême, par exemple, il doit comporter une immersion ou une ablution d’eau (la matière du sacrement) accompagnée de la formule suivante: « Je te baptise au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit » (la forme du sacrement). Ainsi s’accomplit la volonté du Christ:
« Allez donc: de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit… ». – Matthieu XXVIII, 19
Cette rituélie sacrée permettant à l’enfant de passer du monde profane (du monde d’en bas) au monde sacré (au monde d’en haut) rappelle bien le rôle de l’Ange Chérubin ALaD (YaH), de la lettre DaLeTh et l’application de la loi à laquelle elle fait explicitement référence.
Précisons enfin que le sacrement agit ex opere operato, c’est-à-dire sans l’intervention personnelle du prêtre. En ce sens, saint Jean Chrysostome nous précise:
« Il (le) prêtre est indigne ? Qu’est-ce que cela fait à la chose ? Dieu s’est bien servi de bœufs pour sauver son peuple. Ce n’est pas la vie du prêtre, ce n’est pas sa vertu qui accomplissent de telles choses. Tout vient de la grâce. Au prêtre revient seulement d’ouvrir la bouche. Mais c’est Dieu qui opère tout. Lui accomplit seulement le signe. L’oblation est la même, qu’elle soit offerte par le premier venu, ou par Pierre ou Paul. L’une n’est pas moindre que l’autre, car ce n’est pas les hommes qui la consacrent mais celui qui donne la sanctification. ». Bien plus tard, le saint Concile de Trente réitéra cette même position: « Un sacrement dans la Loi nouvelle est un signe sensible et sacré, institué d’une manière permanente par Jésus-Christ, pour produire par lui-même, ex opere operato, la sainteté intérieure. ».
En fait, cela s’explique par le fait que tout prêtre agit avec l’intention de faire ce que fait l’Eglise: sa volonté propre ne pouvant être différente de celle de l’Eglise, elle-même en unité avec celle du Christ. Ainsi, il n’exerce aucune autorité propre sur ce qu’il accomplit et c’est donc, en vérité, Dieu lui-même qui agit à travers son ministère. D’ailleurs, même s’il faisait personnellement obstacle à l’acte qu’il accomplit en ayant, par exemple, une intention différente, la performance du sacrement n’en serait nullement troublée, sa personnalité humaine ayant, en quelque sorte, été neutralisée. Ceci nous rappelle donc à nouveau les exigences spirituelles associées à l’Ange ALaD (YaH) et à la lettre DaLeTh. En effet, l’homme ne peut franchir la porte incarnée par cette lettre que dans la mesure où il prend conscience de sa pauvreté, cessant de vouloir agir par lui-même et Pour lui-même mais s’abandonnant totalement à la volonté divine, laissant ainsi l’Esprit agir «par lui, avec lui et en lui ».
Comme toutes les dimensions de l’arbre de vie, ce quatorzième sentier peut également être maléfice. Il évoque alors l’opacité d’une conscience totalement incapable de contribuer à l’accomplissement des desseins divins. Ceci se traduit alors par deux attitudes caractéristiques.
- Dans un cas, l’individu devient incapable de s’investir dans le monde concret, sombrant ainsi dans la plus complète inertie. En effet, refusant de s’engager de mettre en œuvre ou d’entreprendre quelque chose, il demeure irrémédiablement retranché dans l’inaction.
En reprenant une image biblique, il s’agit de celui qui, missionné par le Christ pour œuvrer à la rédemption du monde et ayant reçu les pouvoirs nécessaires pour le faire, préfère ne tien accomplir. C’est cette attitude que dénonce la parabole des talents :
« C’est comme un homme qui partant en voyage, appela ses serviteurs et leur remit sa fortune. A l’un il donna cinq talents, deux à un autre, un seul à un troisième, à chacun selon ses capacités, et puis il partit. Aussitôt celui qui avait reçu les cinq talents alla les faire produire et en gagna cinq autres. De même, celui qui en avait reçu deux en gagna deux autres. Mais celui qui n’en avait reçu qu’un s’en alla faire un trou en terre et enfouit l’argent de son maître. Après un long temps, le maître de ces serviteurs arrive et il règle ses comptes avec eux. Celui qui avait reçu les cinq talents s’avança et présenta cinq autres talents: « Seigneur, dit-il, tu m’as remis cinq talents: voici cinq autres talents que j’ai gagnés. » – « C’est bien, serviteur bon et fidèle, lui dit son maître, en peu de choses tu as été fidèle, sur beaucoup je t’établirai; entre dans la joie de ton seigneur ». Vint ensuite celui qui avait reçu deux talents: « Seigneur, dit-il, tu m’as remis deux talents: voici deux autres talents que j’ai gagnés. » – « C’est bien, serviteur bon et fidèle, lui dit son maître, en peu de choses tu as été fidèle, sur beaucoup je t’établirai; ente dans la joie de ton seigneur. ». Vint enfin celui qui détenait un seul talent: « Seigneur, dit-il, j’ai appris à te connaître pour un homme âpre au gain: tu moissonnes où tu n’as point semé, et tu ramasses où tu n’as rien répandu. Aussi, pris de peur, je suis allé enfouir ton talent dans la terre: le voici, tu as ton bien ». Mais son maître lui répondit: « Serviteur mauvais et paresseux tu savais que je moissonne où je n’ai pas semé, et que je ramasse où je n’ai rien répandu ? Eh bien ! tu aurais dû placer mon argent chez les banquiers, et à mon retour j’aurais recouvré mon bien avec un intérêt. Enlevez-lui donc son talent et donnez-le à celui qui a dix talents. Car à tout homme qui a, l’on donnera et il aura du surplus; mais à celui qui n’a pas, on enlèvera ce qu’il a. » ». – Matthieu XXV, 14-30
En effet, plus que tout autre texte néo-testamentaire, cette parabole illustre éloquemment l’importance de s’investir dans le monde pour faire fructifier les biens du Maître (la création en tant qu’œuvre divine). Dans le cas contraire, l’homme maintient non seulement la création dans un état de cristallisation opposé à toute dynamique de fructification, mais il s’expose également aux forces de régression (et il perd tout ce qu’il possède). Certes, il a alors manifesté une intention de ne plus agir par lui-même, mais il ne s’est pas pour autant abandonné à la volonté du Maître, se repliant sur lui-même dans un état de néantisation.
- Dans le second cas, l’homme s’investit dans le monde mais ce n’est pas pour contribuer activement à sa rédemption. En effet, non seulement il ne contribue pas à la réalisation des plans divins mais il favorise, au contraire, l’accomplissement des desseins pervers formulés par les forces des ténèbres et les fils de la perdition, Ce sentier maléficié est alors étroitement lié aux plus hautes formes de sorcellerie et de magie noire, plaçant l’individu sous l’influence des êtres démoniaques ayant délibérément refusé de suivre les plans divins, en cherchant à créer leur propre monde (croyant ainsi pouvoir atteindre l’omniscience et l’omnipuissance du Créateur en limitant).
Dès lors, le sacrement devient sortilège. De nombreuses analogies existent d’ailleurs entre ces deux pratiques. En effet, au même titre que le sacrement, le sortilège suppose l’application d’une rituelle précise faisant appel à un support (le voûlt), à des paroles particulières (les formules Magiques conservées dans les grimoires) et à une intention précise. Plus encore, cette intention est à nouveau assujettie à une autorité extérieure mais ce n’est plus, évidemment, celle du Christ, mais celle du démon. C’est d’ailleurs ce qui fit dire à Grillot de Givry:
« la principale fonction du sorcier, comme son nom l’indique, était de jeter des sorts sur les gens auxquels, pour une raison quelconque, il voulait du mal. Il appelait sur eux la malédiction de l’Enfer, comme Je prêtre appelait la bénédiction du Ciel; et, sur ce terrain, il se trouvait en rivalité complète avec le monde ecclésiastique, ». – Grillot de Givry, Le Musée der sorciers, mages et alchimistes, Henri Veyrier, Paris, 1988.