L’Ange SERAPHIN VeHOu (YaH) et la lettre ALePh correspond sur l’arbre de vie au onzième sentier (Kether–Chokmah) que les hermétistes associent à la Conscience limpide (Sekhel Metsou’hatsa’h). Certains auteurs ont également traduit ce terme par l’expression Intelligence scintillante et les commentateurs du Sepher Yetzirah nous rapportent que «le onzième sentier est l’Intelligence Scintillante car il est l’essence de ce rideau placé près de l’ordre de l’agencement et c’est une dignité spéciale qui lui est donnée que d’être capable de se tenir debout devant la Face de la Cause des Causes. »
Selon la tradition hermétique, il correspond essentiellement à une expérience de perception intérieure nous permettant de saisir avec plus d’acuité la source originelle de toutes choses et l’unité dont elles procèdent. Ainsi, chaque réalité de ce monde devient un moyen de parvenir à la connaissance de Dieu. Cette idée est magnifiquement formulée dans un hadith célèbre chez les musulmans:
« Dieu dit: j’étais un trésor, j’ai voulu être connu et j’ai créé le monde. ».
Cheminant sur le onzième sentier nous réalisons donc que si la création est un voile (un « rideau placé près de l’ordre de l’agencement») derrière lequel se dissimule « le Mystérieux des Mystérieux » et « l’Inconnu des Inconnus », elle sert également à le révéler.
En d’autres termes, ce sentier nous permet de découvrir qu’en voilant l’essence infime de Dieu, la création la nous dévoile en même temps. A ce titre, l’exemple du fantôme tel qu’il est représenté dans l’imagerie populaire peut permettre de mieux comprendre cette grande vérité. En effet, en se recouvrant d’un drap blanc, le fantôme devient un être anonyme dont les spécificités propres ne sont plus visibles, étant dissimulées sous un voile. Toutefois, c’est également parce qu’il se recouvre d’un drap qu’il devient perceptible aux yeux des vivants, étant autrement parfaitement invisible. Or, la création remplit une fonction analogue vis-à-vis de Dieu. En effet, elle Lui permet à la fois de se dissimuler et de se révéler. Ainsi, lorsque le psalmiste s’exclame:
« Jusques à quand, Yahvé, seras-tu caché ? Jusqu’à la fui ? »,
Psaume 89 (88)
Il évoque en fait la nature même de Dieu consistant à se révéler en se voilant Pensons encore à ce passage du livre des Proverbes:
« C’est la gloire de Dieu de celer [cacher] une chose, c’est la gloire des rois de la scruter. »
Proverbes XXV, 2.
Le onzième sentier nous apparaît donc comme étant celui de la perception de Dieu à travers sa forme extériorisée, coagulée et matérialisée. En ce sens, il revêt une importance majeure pour les kabbalistes puisqu’il permet de vivre un véritable face à face avec le divin. Certes, ce face à face ne permet pas de contempler Dieu dans toute sa plénitude, mais de le percevoir grâce au voile qui le masque. Il n’en demeure pas moins une authentique expérience de l’Esprit.
La création nous apparaît donc, grâce à ce sentier, comme l’icône même de Dieu. En effet, si l’icône, en tant qu’image, dissimule Dieu en raison de son incapacité à traduire efficacement le divin, elle n’en demeure pas moins pleinement participante de la réalité divine qu’elle est destinée à exprimer. A ce titre, elle est un lieu sacré privilégié où Dieu s’ouvre (se révèle) à l’homme. De même, à l’instar de l’icône, la création est une ouverture ou encore un instrument de médiation conduisant la conscience humaine vers ce qui lui est ontologiquement accessible par nature. Ainsi, la création lui révèle la divinité dans toute sa splendeur.
Ajoutons cependant que cette perception de la divinité à travers sa forme extériorisée suppose, de notre part, le développement d’un regard particulier. En effet, « c’est que le regard, la vision, est: un mode de connaissance direct et intuitif, non pas médiat et discursif comme la réflexion mentale, et par là il peut devenir le canal privilégié de l’intuition spirituelle. A certaines conditions toutefois: le regard doit ‘être rempli d’humilité et d’amour, ce doit être un regard pieux, intérieur, pur de tous les objets mentaux, un regard d’innocence, car le mystère que présente l’image [la création] doit être vu, comme dit P. Evdokimov, avec les yeux de la colombe. Ce regard pieux et humble déclenche la présence surnaturelle. Alors, au devant du regard du contemplant vient un autre regard, celui de la Divinité.». – Chevalier, Jean et Gheerbrant, Main, Dictionnaire des Symboles. Robert Laffont, Paris, 1982.
Comme toutes les dimensions de l’arbre de vie, ce onzième sentier peut également être maléficié. Il incarne alors des forces contraires initiant un mouvement de contraction intérieure retenant prisonnière toute potentialité d’expression. Placée sous l’emprise de ces forces régressives, la création devient alors un lourd voile opaque dissimulant si parfaitement sa source que l’homme en arrive à nier l’existence de l’esprit ou à s’illusionner totalement sur sa réalité. En suscitant ainsi une fermeture étanche à toute impulsion intérieure, ce sentier conduit évidemment l’individu à se heurter au caractère apparemment vain et insensé de l’existence. En effet, réduisant la réalité à sa seule apparence, il ne saurait concevoir au-delà des limites matérielles autre chose que le néant. Aussi, il ne tarde pas à cultiver un intense sentiment de désarroi, la vie devenant une longue nuit à l’issue de laquelle la mort, en tant que processus de retour au chaos, l’attend. Il en résulte généralement un comportement totalement désabusé et un refus de participer aux aspects les plus divers de l’incarnation.
En outre, ce sentier peut également nous conduire à nous illusionner totalement sur la nature de Dieu. Il est alors à l’origine des diverses formes de croyances religieuses déviantes inspirées par l’ego toujours aveuglé par l’esprit du monde et non illumine par celui de Dieu. En ce sens, il s’agit du sentier des pseudo-révélations se présentant comme étant d’origine divine. Les êtres qui en sont porteurs se considèrent alors comme des messagers élus par le ciel. Au risque de renoncer à tout discernement, ils s’empressent d’ailleurs d’accepter et de répandre ces messages qui ne sont qu’illusions. Véhiculant le plus souvent des affirmations positives pouvant laisser croire que leur source est bienveillante, ils n’apportent cependant rien de nouveau.
Or, dans la reconnaissance d’une révélation, la tradition de l’hermétisme, s’interroge toujours sur ce que le message apporte avant de lui accorder une caution morale et c’est là une chose très importante. En effet, même si l’enseignement reçu est positif et porte sur des vérités fondamentales (l’amour, la paix ou l’harmonie par exemple), le seul fait de lui accorder une valeur peut représenter un danger, la foi et le développement spirituel ne devant pas s’appuyer sur le spectaculaire, mais sur un état d’être intérieur. En ce sens, l’importance accordée à une « apparente révélation » représente toujours un piège potentiel. D’ailleurs, le onzième sentier maléficié est celui des faux messies qui, transmettant parfois un message positif, contribuent davantage toutefois à la mystification et à l’aliénation qu’au développement intérieur et à la rencontre avec Dieu.
Enfin, à un niveau plus subtil, l’ouverture de ce onzième sentier maléficié peut entraîner certaines visions inspirées par des forces démoniaques. Sous une forme séduisante, elles contribuent alors à détourner notre conscience de Dieu. Tous les grands mystiques ont été confrontés à ce type d’expériences au cours de leur cheminement spirituel. Ainsi, saint Jean de la Croix nous rapporte
qu’« il y a une très grande différence entre les visions qui viennent du démon et celles qui ont Dieu pour auteur. Les effets produits par les visions démoniaques dans l’âme ne ressemblent nullement à ceux des visions qui viennent de Dieu; celles-là engendrent l’aridité dans les rapports de l’âme avec Dieu, la portent à s’estimer, lui suggèrent de faire quelque cas de ces visions; elles ne produisent pas la douceur de l’humilité et l’amour de Dieu. De plus, les objets de ces visions ne se gravent pas dans l’âme avec la clarté suave des autres, Loin d’avoir de la durée, elles s’effacent promptement, excepté le cas où l’âme leur accorde une grande estime car alors l’affection qu’elle leur porte fait naturellement qu’elle en garde le souvenir; mais c’est un souvenir très aride qui ne produit nullement cet amour et cette humilité qui découlent du souvenir des visions divines… »,
Saint Jean de la Croix, Œuvres complète, La Montée du Carmel. Livre II, chap. XXII, Desclée de Brouwer, Paris, 1967.