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Pour bien saisir la nature précise du Chœur des Anges Vertus – Les Serafim, nous devons d’abord insister sur le fait qu’elles sont très étroitement associées à l’archétype incarné par Mars. Or cette planète évoque traditionnellement le pouvoir dynamique qui nous incite à nous investir dans l’action. En ce sens, elle incarne l’audace, le courage et le goût du défi. Elle évoque également une impressionnante combativité pouvant servir à lutter contre les tendances égoïques qui cherchent pernicieusement à dominer la conscience.
Nous pouvons donc en déduire que du Chœur des Anges Vertus – Les Serafim favoriseront le développement d’une capacité à agir, à entreprendre et à construire. Cette faculté s’inscrivait à l’origine en dehors de toute notion de lutte contre des puissances ténébreuses (le drame de la Chute n’ayant pas été prévu dans les plans divins).
Toutefois, suite à ce drame au cours duquel l’homme sombra sous l’emprise des forces du mal, le pouvoir d’action incarné par cette hiérarchie devint pouvoir de rectification. La tradition hermétique considère donc maintenant le chœur du Chœur des Anges Vertus – Les Serafim comme la hiérarchie qui nous amène à nous libérer courageusement de toute force mortifère (source de mirages et d’illusions) pour mieux nous placer au service de l’être et pour lui rendre témoignage avec force et courage. En ce sens, notre principal travail consistera donc à initier des processus de rectification et de transmutation à différents niveaux de l’être et du vécu.
Pour mieux encore approcher ce chœur des Anges Vertus – Les Serafim il est évidemment fort intéressant de s’attarder au nom hébreu employé par les kabbalistes pour le désigner. Or il s’agit du mot saraphim, la forme plurielle du verbe saraph (ShIN –ReISh– PÊ) signifiant « brûler » ou « consumer » (si l’on adjoint à ce verbe la lettre He, on obtient d’ailleurs le mot seraphah désignant « la combustion »).
En ce sens, la fonction du Chœur des Anges Vertus – Les Serafim est directement liée à l’énergie du feu, une énergie qui anime et dynamise toute chose. Sur un plan purement organique à titre d’exemple, l’énergie vitale permettant à l’organisme de se mouvoir et d’agir provient de l’activité métabolique qui repose essentiellement sur un processus d’oxydoréduction au cours duquel un véritable feu, alimenté par l’oxygène, permet la décomposition des molécules alimentaires et l’extraction d’une importante énergie. Citons dans le même ordre d’idée cette affirmation de Gaston Bachelard qui met fort bien en exergue le lien étroit existant entre le feu et l’action dynamique :
« Le feu est un phénomène privilégié qui peut tout expliquer. Si tout ce qui change lentement s’explique par la vie, tout ce qui change vite s’explique par le feu. Le feu est l’ultra-vivant. Le feu est intime et il est universel. Il vit dans notre cœur, il vit dans le ciel, il monte des profondeurs de la substance et s’offre comme un amour. ».
– Bachelard, Gaston, Psychanalyse du feu, Paris, 1938.
Toutefois, si le Chœur des Anges Vertus – Les Serafim incarnent le pouvoir d’agir, c’est un pouvoir qui, suite au drame de la Chute, s’inscrit maintenant le plus souvent dans une perspective de rectification. Or le feu apparaît également dans toutes les traditions antiques comme la force purificatrice et régénératrice par excellence. C’est d’ailleurs pourquoi il intervenait autrefois dans les rituels d’ordalies (ou « Jugement de Dieu ») qui servaient à départager les innocents des coupables. En effet, l’épreuve par le feu laissait indemnes les innocents et brûlait les coupables. Elle consistait plus précisément à mettre les mains dans l’huile bouillante, à porter une barre chauffée au rouge ou à marcher sur des socs de charrue rouges comme braises … (l’expression « j’en mettrais ma main au feu » vient d’ailleurs de cette pratique). Ce système antique, qui peut paraître barbare, s’appuyait en fait sur le principe qui veut qu’un homme innocent (c’est-à-dire dépourvu de tout élément obscur) ne puisse être brûlé, n’ayant rien à purifier.
Nous retrouvons d’ailleurs cette même vision dans l’Ancien Testament. Pensons en ce sens au récit des trois jeunes Hébreux rapporté dans le livre de Daniel. On y raconte en effet que le roi Nabuchodonosor éleva une statue d’or à son effigie et exigea que le peuple la vénérât. Toutefois, les trois jeunes Hébreux refusèrent de l’adorer, préférant placer leur foi en Dieu. Le roi impie les fit alors jeter dans la fournaise, mais ceux-ci
« marchaient au milieu de la flamme, louant Dieu et bénissant le Seigneur. ».
– Daniel III, 24.
Le fait qu’ils ne fussent pas atteints par le feu dévorant souligne donc leur innocence. Plus encore, c’est parce qu’ils ont su adorer Dieu et non une image extérieure qu’ils ont ainsi été délivrés du supplice de la fournaise ardente. En effet, ne vouant pas un culte à l’Esprit du monde en s’attachant à la dimension extérieure de la réalité (symbolisée par la statue d’or à l’effigie du roi Nabuchodonosor), ils conservèrent leur foi dans le Seigneur, percevant toujours la réalité en fonction de son essence intérieure.
Ainsi donc, le feu met bien en exergue l’action rectificatrice et purificatrice du Chœur des Anges Vertus – Les Serafim. À ce titre d’ailleurs, le prophète Esaïe en fait explicitement mention lorsqu’il déclare :
« l’année de la mort du roi Ozias, je vis le Seigneur assis sur un trône grandiose et surélevé. Sa traîne emplissait le sanctuaire. Des Seraphim se tenaient au-dessus de lui […]. Ils se criaient l’un à l’autre ces paroles : « Saint, saint, saint est le Seigneur Sabaot. Sa gloire emplit toute la terre. » Les montants des portes vibrèrent au bruit de ces cris et le Temple était plein de fumée. Alors je dis : « Malheur à moi, je suis perdu ! car je suis un homme aux lèvres impures, j’habite au sein d’un peuple aux lèvres impures, et mes yeux ont vu le Roi, le Seigneur Sabaot. » L’un des Seraphim vola vers moi, tenant dans sa main une braise qu’il avait prise avec des pinces sur l’autel. Il m’en toucha la bouche et dit : Voici, ceci a touché tes lèvres, ta faute est effacée, ton péché est pardonné. Alors j’entendis la voix du Seigneur qui disait : « Qui enverrais-je ? Qui ira pour nous ? Et je dis : « Me voici, envoie-moi. » ».
– Isaïe VI, 1-8.
Dans cet épisode, le Seraph (la Vertu) purifie Isaïe afin de le rendre apte à exprimer la parole divine. Plus encore, une fois purifié, il deviendra lui-même un porte-parole du pouvoir rectificateur de Dieu:
« Il [Dieu] me dit : « Va, et tu diras à ce peuple : Ecoutez, écoutez, et ne comprenez pas ; regardez, regardez, et ne discernez pas. Appesantis le cœur de ce peuple, rends-le dur d’oreille, englue-lui les yeux, de peur que ses yeux ne voient, que ses oreilles n’entendent, que son cœur ne comprenne, qu’il ne se convertisse et ne soit guéri. » Et je dis : « Jusques à quand, Seigneur ? » Il me répondit : « Jusqu’à ce que les villes soient détruites et dépeuplées, les maisons inhabitées ; que le sol soit dévasté, désolé ; que Yahvé en chasse les gens, et qu’une grande détresse règne au milieu du pays. Et s’il en reste un dixième, de nouveau il sera dépouillé, comme le tébérinthe et comme le chêne qui, une fois émondés, n’ont plus qu’un tronc ; leur tronc est une semence sainte. ».
– Isaïe VI, 9-13.
Il peut également être intéressant de mentionner que le mot hébreu saraph désigne également le dragon. Or cet animal mystérieux incarne, dans la tradition judéo-chrétienne, un certain pouvoir rectificateur, ayant une parole de feu. Toutefois, ce pouvoir peut parfois être maléficié, devenant dès lors pouvoir de destruction.
Dans cette perspective, il symbolise alors l’action destructrice de Satan (cet « énorme dragon » selon le mot de saint Jean) qui, œuvrant au sein de la création, éloigne celle-ci de son image (celle établie par Dieu depuis les origines), la transformant peu à peu en une terre désolée et aride, en un véritable désert.
– Apocalypse XII, 9.
Le feu que le dragon crache n’est donc plus ce feu purificateur, mais un feu dévorant qui sème la mort en détruisant en chaque réalité sa dimension véritable et essentielle. Le dragon représente dès lors l’antithèse du Chœur des Anges Vertus – Les Serafim qui lui livreront en conséquence un combat incessant.
À ce titre, le chevalier qui combat les forces obscures pour libérer la création de leur emprise (l’épurant en quelque sorte) et réinstaurer l’ordre divin, est en étroit rapport avec le Chœur des Anges Vertus – Les Serafim (de la même manière que le roi sera lié aux Puissances, comme nous le verrons dans le prochain chœur). Or la vocation même du chevalier est précisément de combattre le dragon. Pensons, à titre d’exemple, à la fameuse légende de saint Georges (le patron des chevaliers) qui nous rapporte que la ville de Cyrène vit un jour un énorme dragon venir aux pieds de ses murailles. Ce fut alors le commencement d’une ère de terreur : tous les jours, le dragon s’agrippait à la porte et projetait sa salive bouillante sur les remparts et tous ceux qui étaient touchés par ce liquide empoisonné ne tardaient pas à mourir dans d’horribles douleurs. Afin d’apaiser le monstre, on décida de lui offrir chaque jour deux moutons. Au début, cela semblait une excellente solution. En effet, le dragon venait tous les matins dévorer ses deux moutons et repartait tranquillement. Mais le jour vint où l’on manqua de moutons et le dragon se remit à cracher sa salive empoisonnée sur la ville. On fut alors contraint de tirer au sort quotidiennement une victime humaine. Un matin, le jeton fatal fut tiré par la fille du roi et celle-ci dut être conduite en dehors de la ville afin d’apaiser à son tour la faim insatiable du dragon. Mais alors que l’abominable bête dormait encore, un chevalier inconnu apparut à l’horizon. Son armure d’argent étincelait et une lumière le nimbait. C’était Georges, un chevalier romain converti au christianisme comme le démontraient les croix rouges ornant son ceinturon. Il chevauchait en quête d’aventures et, parvenu à la princesse, il se pencha sur sa selle pour entendre son récit. Celle-ci lui raconta son triste sort et le pria de s’en retourner au plus vite. Georges éclata de rire. Puis il se dirigea vers le repère du dragon. Le bruit des sabots du cheval réveilla l’abominable monstre qui surgit de son antre en hurlant, vomissant le feu. Mais le chevalier fut sur lui avant qu’il n’ait pu reprendre son souffle. La bête se dressant de toute sa hauteur pour attaquer, Georges en profita pour lui transpercer promptement le flanc de son épée et l’animal retomba sur le sol sans force. Le chevalier s’approcha alors pour l’achever.
Saint Georges (et à travers lui la figure de tout chevalier) illustre donc parfaitement l’enjeu du Chœur des Anges Vertus – Les Serafim qui propose à l’homme de livrer combat au dragon. Le roi auquel le chevalier a juré fidélité et obéissance n’est autre que Dieu. Fort de Lui, il s’engage alors à délivrer l’âme du monde, l’humanité (évoquée par la princesse), de l’emprise des puissances ténébreuses (du dragon) qui tentent de la détruire.
Plus encore, chacun de ces Seraphim est en rapport étroit avec l’une des armes traditionnelles du chevalier. À ce titre, l’image de l’armure spirituelle apparaît déjà dans l’Ancien Testament puisque le livre de la Sagesse nous décrit Dieu s’armant et armant les siens pour combattre Ses ennemis :
« Pour armure, il prendra son ardeur jalouse, il armera la création pour repousser ses ennemis ; pour cuirasse il revêtira la justice, il mettra pour casque un jugement sans feinte, il prendra pour bouclier la sainteté invincible ; de sa colère inexorable il fera une épée tranchante, et l’univers ira au combat avec lui contre les insensés. ».
– Sagesse V, 17-20.
L’image de cette armure divine sera ensuite reprise dans le Nouveau Testament par saint Paul lorsqu’il s’adresse aux Éphésiens :
« En définitive, rendez-vous puissants dans le Seigneur et dans la vigueur de sa force. Revêtez l’armure de Dieu pour pouvoir résister aux manœuvres du diable. Car ce n’est pas contre des adversaires de sang et de chair que nous avons à lutter, mais […] contre les Régisseurs de ce monde de ténèbres, contre les Esprits du Mal qui habitent les espaces célestes. C’est pour cela qu’il vous faut endosser l’armure de Dieu, afin qu’au jour mauvais, vous puissiez résister et, après avoir tout mis en œuvre, rester fermes. Tenez-vous donc debout, avec la Vérité pour ceinture, la Justice pour cuirasse, et pour chaussure, le zèle à propager l’Évangile de la paix ; ayez toujours en main le bouclier de la Foi, grâce auquel vous pourrez éteindre tous les traits enflammés du Mauvais ; enfin recevez le casque du Salut et le glaive de l’Esprit, c’est-à-dire la Parole de Dieu. ».
– Éphésiens VI, 10-17.