LE SENTIER CHESED– TIPHERETH :
Ils correspondent sur l’arbre de vie au vingtième sentier (Chesed – Tiphereth) que les hermétistes associent à la Conscience de Volonté (Sekhel Haratson). Certains auteurs ont traduit ce terme par l’expression Intelligence de la Volonté et les commentateurs du Sepher Yetsirah nous rapportent qu’on
« L’appelle ainsi car c’est le moyen de la préparation de tout et de chaque être créé, et par cette Intelligence on acquiert la connaissance de l’existence de la Sagesse primordiale. ».
Selon la tradition hermétique, ce sentier correspond à l’étape où nous apprenons à nous conformer pleinement à la volonté divine. En d’autres termes, nous y découvrons l’ordre instauré par Dieu et nous nous y soumettons alors délibérément, observant ainsi soigneusement les lois cosmiques dans lesquelles nous reconnaissons spontanément l’expression de la volonté divine. Nous y apprenons également à discerner dans notre propre existence les voies d’un destin inscrit par Dieu, admettant même que ce destin puisse être radicalement différent de celui que nous souhaiterions connaître si notre propre volonté pouvait s’exprimer. Dès lors, nous endossons cet adage célèbre :
« Seigneur, donnez-moi la force de changer ce qui doit être changé et d’accepter ce qui ne peut être changé. Donnez-moi aussi la sagesse de les distinguer. ».
En effet, ce sentier nous permet de nous abandonner progressivement à la volonté divine dans un lâcher-prise nous permettant d’être éclairés sur notre véritable destinée. Les anciens cherchaient autrefois à vivre cette expérience grâce à une observation scrupuleuse de la nature. En effet, ils croyaient pouvoir y percevoir les signes de la volonté divine. C’est d’ailleurs ce qu’attestent leurs nombreuses pratiques mantiques. Pensons, à titre d’exemple, à Cicéron qui s’interrogeait ainsi:
« Indiquez-moi, s’il se peut une nation, une cité qui ne se gouverne point par des pronostics tirés des intestins des animaux, ou par les interprètes des prodiges ou des éclairs, ou par les prédictions des augures, des astrologues… ou bien montrez-m’en une qui n’ait pas recours aux songes et aux vaticinations, qui nous viennent, dit-on, de la nature. ».
– Cicéron, De Divinatione, trad. de Golbéry, Panckouke, Paris, 1837.
Quant au peuple hébreu, il consultait l’Urim et le Tummim dont l’usage était réservé aux prêtres lévites. Selon les exégètes, il s’agissait de « deux petits cailloux ou deux bâtonnets, bien distincts l’un de l’autre par la forme, la couleur ou une inscription, et qui servaient pour consulter Yahvé à la manière dont les Anciens interrogeaient les flèches ou le foie des oiseaux. ». (Gérard, André-Marie, Dictionnaire de la Bible, Robert Laffont, Paris, 1989.)
Le roi Saül les utilisa notamment pour connaître celui qui avait fauté devant Yahvé afin de le punir en le mettant à mort :
« Saül dit alors : « Yahvé, Dieu d’Israël, pourquoi n’as-tu pas répondu aujourd’hui à ton serviteur ? Si la faute est sur moi ou sur mon fils Jonathan, Yahvé, Dieu d’Israël, donne Urim; si la faute est sur ton peuple Israël, donne Tummim ». Saül et Jonathan furent désignés et le peuple échappa. Saül dit : « Jetez le sort entre moi et mon fils Jonathan », et Jonathan fut désigné. ».
– 1 Samuel XIV, 41-42.
Les pratiques mantiques, quelles qu’elles soient, sont donc directement reliées à l’ouverture de ce sentier et à la conscientisation de la lettre et des anges correspondants.
En acquérant ainsi une meilleure connaissance de la volonté divine, nous apprenons évidemment à nous libérer des multiples sollicitations extérieures qui nous éloignent de notre essence profonde. Dans cette perspective, l’obéissance aux lois divines, loin de nous aliéner, nous permet au contraire de nous affranchir du cercle clos de l’ego pour ainsi exprimer avec force notre nature authentique et véritable, celle que Dieu nous conféra dès notre origine et que nous renions trop souvent, aveuglés par les valeurs illusoires du monde extérieur. En ce sens, la tradition judéo-chrétienne a toujours considéré la nécessité d’identifier sa propre volonté à celle de Dieu. Le Christ lui-même l’a enseigné avec insistance tout au cours de son ministère. Ainsi, il déclara :
« ma nourriture est de faire la volonté de Celui qui m’a envoyé et de mener son œuvre à bonne fin. »
– Jean IV, 34.
ou encore
« je suis descendu du ciel pour faire non pas ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé. ».
– Jean VI, 38.
L’Eglise, comme la tradition de l’hermétisme chrétien, a donc toujours mis en valeur l’importance de l’obéissance. Dans l’exercice de son ministère, le prêtre ne peut d’ailleurs pas faire autre chose que ce que l’Eglise a fait et toujours fait. Ainsi, en accédant au presbytérat, ce n’est plus sa volonté personnelle qui s’exerce, mais celle du Christ qui agit en lui. Et cela est si vrai que les sacrements qu’il administre s’accomplissent ex opere operato, c’est-à-dire sans le concours de sa propre volonté. En ce sens, il n’exerce aucune autorité propre sur ce qu’il accomplit et c’est, en vérité, Dieu lui-même qui agit à travers son ministère. Plus encore, même si le prêtre faisait obstacle à l’effet du sacrement en ayant, par exemple, une autre intention, la performance de celui-ci n’en serait nullement troublée, la personnalité humaine étant en quelque sorte neutralisée. A ce titre, le prêtre porte l’étole croisée sur sa poitrine afin d’illustrer le fait qu’il doit désormais faire une croix sur son moi personnel (qu’il doit y renoncer).
Comme toutes les dimensions de l’arbre de vie, ce vingtième sentier peut également être maléficié. Il nous conduit alors à ne suivre que notre propre volonté, percevant toute intervention extérieure comme une atteinte inacceptable à notre libre-arbitre. Focalisés exclusivement sur nous-mêmes et obstinément fermés à toute dimension qui nous est supérieure, nous en venons évidemment à vouer un véritable culte à notre propre personnalité, pouvant même sombrer dans une certaine forme d’idolâtrie. En effet, nous pouvons en arriver à nous croire le centre du monde, cherchant alors à organiser et à façonner ce qui nous entoure selon notre propre conception, sans tenir compte de quoi que ce soit.
Cette inflation du moi personnel est admirablement illustrée par l’attitude du roi Nabuchodonosor qui éleva une statue d’or à son effigie, exigeant que le peuple la vénérât :
« A vous peuples, nations et langues, voici ce qui a été commandé : à l’instant où vous entendrez sonner trompe, pipeau, cithare, sambuque, psaltérion, cornemuse et toute espèce de musique, vous vous prosternerez et ferez adoration à la statue d’or qu’a élevée le roi Nabuchodonosor. Quant à celui qui ne se prosternera ni ne fera adoration, il sera incontinent jeté dans la fournaise de feu ardent. ».
– Daniel III, 4-6.
Au niveau symbolique, cette statue d’or représente bien le moi personnel au service duquel nous (le roi Nabuchodonosor) plaçons désormais toutes les ressources de notre dimension corporelle (les sujets de son royaume), les détournant ainsi de leur véritable vocation : servir de support pour l’expression de l’esprit (de Dieu).
Considérant ce qui précède, il n’est guère étonnant que ce sentier maléficié nous conduise à une quête effrénée de pouvoirs afin de mieux infléchir en notre faveur le cours de notre existence. Si ce sentier nous amenait, dans notre dimension positive, à nous en remettre à la volonté divine, renonçant ainsi aux sollicitations de notre moi personnel, il nous conduit maintenant à servir les puissances de ce monde pour mieux établir notre autorité et notre pouvoir. Cette attitude déviante revêt évidemment différentes formes : implication dans des affaires politiques et financières frauduleuses et illégales, rapports étroits avec les réseaux clandestins tels que la mafia…
Dans certains cas, incapable de réaliser notre objectif par nous-mêmes, nous pourrions alors être amenés à commercer directement avec les forces démoniaques, plaçant ainsi notre volonté sous leur autorité dans le but d’acquérir certains pouvoirs… Cependant, cette attitude, motivée par de viles intentions, nous conduirait inévitablement à être la victime des forces occultes invoquées, d’autant plus que celles-ci seraient nécessairement animées des mêmes désirs de convoitise que nous cultiverions dans notre tentative de les contacter.