LE SENTIER CHESED– GEBURAH :


La lettre TeTh et l’Ange domination ShAH (YaH) correspondent sur l’arbre de vie au dix neuvième sentier (ChesedGeburah) que les hermétistes associent à la Conscience du Mystère de toutes les activités spirituelles (Sekhel Sod Hapolouth Ha Rou’ haniyouth koulam) Certains auteurs ont également traduit ce terme par l’expression Intelligence du Secret et de toutes les activités des être spirituels. Les commentateurs du Sepher Yetsirah nous rapportent, quant à eux, que « le dix-neuvième sentier est l’intelligence du secret de toutes les activités des êtres spirituels et oi l’appelle ainsi à cause de l’influence qu’elle diffuse à partir d la gloire sublime la plus haute et la plus exaltée. ». Selon la tradition hermétique, ce sentier favorise essentiellement le développement d’une capacité à agir conformément à notre essence profonde (et à travers elle à l’impulsion d l’Esprit), échappant dès lors à toutes les revendications de l’ego. En d’autres termes, il nous invite à exprimer notre puissance d’action en synergie avec celle de Dieu, œuvrant ainsi à notre propre réalisation (à l’accomplissement du dessein sublime que notre Créateur nous a réservé) et à celle de la création tout entière. En effet, si l’homme a été créé parfait à l’image de Dieu, il n’a pas été créé achevé: sa tâche consistant à cheminer vers Dieu pour participer à Sa divinité, accédant alors à Sa ressemblance et atteignant du même coup un véritable accomplissement (sa divinisation). Plus encore, ayant été créé dès son origine comme roi de la création, l’homme est appelé à conduire également l’univers tout entier de son état d’inachèvement originel (évoqué par le jardin d’Éden) vers un état d’accomplissement (symbolisé par la Jérusalem céleste), ceci se réalisant au même rythme que sa participation à la nature divine.

Toutefois, en instituant l’homme totalement libre d’agir selon son bon vouloir, Dieu ne peut le façonner et façonner l’univers sur lequel Il l’a institué souverain qu’avec son accord et sa collaboration. À tout instant, Il l’appelle donc à collaborer à Son œuvre en joignant sa puissance d’action à la Sienne. Sans cette nécessaire synergie, Dieu demeure même totalement impuissant. Cette invitation solennelle adressée à l’homme ne consiste évidemment pas à renoncer à sa propre puissance pour laisser Dieu agir à travers lui. Il s’agit plutôt de la libérer de toute emprise de l’ego pour ainsi la placer en synergie avec celle de Dieu. C’est dans cette perspective que s’interroge le Père Varillon

« la formidable avancée des puissances humaines qui, pour beaucoup de nos contemporains, permet tous les espoirs, est-elle opposée à la puissance de Dieu que saint Paul appelle « l’énergie (ou le dynamisme) du Christ ressuscité » ? La puissance de l’homme s’oppose-t-elle à la puissance de Dieu ? La puissance qui vient de Dieu détruit-elle les énergies qui montent de l’homme ? À cette question, il convient de répondre « comment Dieu pourrait-il nous demande de renoncer à nos puissances ? […] L’homme n’est pas tout fait. L’homme est à faire. Dieu ne veut pas le faire, il veut que nous le fassions, et il nous donne le pouvoir de faire. Or il est bien évident que l’homme ne va pas construire le monde avec d’autres puissances ou énergies que les siennes. Un monde humain se construit avec des moyens humains qui sont techniques, politiques, moraux. ». (- Varillon, Jean, Joie de croire, joie de vivre, Éditions du Centurion, Paris, 1981.)

Dans la même perspective, la tradition hermétique associe également à ce sentier toutes les danses rituelles et sacrées que nous retrouvons dans les grandes traditions initiatiques et religieuses. Pensons à l’Égypte pharaonique par exemple, où les danses, aussi multiples qu’élaborées, traduisaient « en mouvements expressifs les dogmes les plus mystérieux de la religion, les mythes d’Apis et d’Osiris, les transformations des dieux en animaux, et par-dessus tout, leurs amours. ». (

Dans la même perspective, la tradition hermétique associe également à ce sentier toutes les danses rituelles et sacrées que nous retrouvons dans les grandes traditions initiatiques et religieuses. Pensons à l’Égypte pharaonique par exemple, où les danses, aussi multiples qu’élaborées, traduisaient « en mouvements expressifs les dogmes les plus mystérieux de la religion, les mythes d’Apis et d’Osiris, les transformations des dieux en animaux, et par-dessus tout, leurs amours. ». ( – Posener G. (En collaboration avec Serge Sauneron et Jean Yoyotte), Dictionnaire de la civilisation égyptienne, Paris, 1959.)

Permettant au divin de s’exprimer pleinement au sein de la création, ces danses sacrées étaient donc investies d’une importante puissance.

Dans le même ordre d’idée, Gérard de Sorval note que « Louis XIV dansait presque quotidiennement et Saint-Simon nous dit que le Roi-Soleil excellait plus que tout autre homme de son temps dans cet exercice. Cette partie de l’emploi du temps du monarque était à la fois un devoir de sa charge et un jeu. Pourquoi un devoir ? Parce que le monarque doit régler ses gestes en harmonie avec les rythmes de l’ordre naturel dont il transcrit et fait régner la beauté. Au centre de son royaume, il est régulateur des équilibres cosmiques. Et cette harmonie est elle-même un jeu éternel, un déploiement de cette musique des sphères que la divinité produit pour manifester sa gloire. Selon ce que dit l’Écriture: Coeli enarrant gloriam Dei. Ce jeu de la danse, gratuit par excellence, transcrit ainsi en réalité un geste créateur et régénérateur. ». (De Sorval, Gérard, Initiation chevaleresque et Initiation royale dans la spiritualité chrétienne, Dervy-Livres, Paris, 1985.)

Investi par l’impulsion divine, l’acte permet alors une certaine « incarnation » des énergies divines. En effet, porteur de la lumière de l’Esprit, il incarne cette lumière qui serait autrement demeurée cachée (à l’état de potentialité). Ainsi, le dix-neuvième sentier est celui où l’homme associe les œuvres (Geburah) à sa foi (Chesed). Or c’est là un élément essentiel de la vie chrétienne comme nous le précise saint Jacques dans son épître célèbre:

« À quoi cela sert-il, mes frères, que quelqu’un dise: « J’ai la foi », s’il n’a pas les œuvres ? La foi peut-elle le sauver ? Si un frère ou une sœur sont nus, s’ils manquent de leur nourriture quotidienne et que l’un d’entre vous leur dise: « Allez en paix, chauffez-vous, rassasiez-vous », sans leur donner ce qui est nécessaire à leur corps, à quoi cela sert-il ? Ainsi en est-il de la foi: si elle n’a pas les œuvres, elle est tout à fait morte. Au contraire, on dira: « Toi tu as la foi, et moi, j’ai les œuvres ? Montre-moi ta foi sans les œuvres; moi, c’est par les œuvres que je te montrerai ma foi. Toi, tu crois qu’il y a un seul Dieu ? Tu fais bien. Les démons le croient aussi, et ils tremblent. Veux-tu savoir, homme insensé que la foi sans les œuvres est stérile ? Abraham, notre père, ne fut-il pas justifié par les œuvres quand il offrit Isaac, son fils, sur l’autel ? Tu le vois: la foi coopérait à ses œuvres et par les œuvres sa foi fut rendue parfaite ». ».

– Jacques II, 14-22.



Comme toutes les dimensions de l’arbre de vie, ce dix-neuvième sentier peut également être maléficié. Il favorise alors le développement d’une profonde incapacité à exprimer nos valeurs véritables et la lumière de l’Esprit. En d’autres termes, nous ne sommes plus en mesure d’agir en harmonie avec les exigences de notre essence profonde (et, à travers elle, des impulsions divines dont elle est vectrice). En conséquence, nous ne pouvons plus nous exprimer de manière originale et il en résulte deux attitudes caractéristiques. En effet, nous pouvons être amenés, dans un premier cas, à agir en parfaite inadéquation avec ce que nous portons en nous. Or si nous agissons ainsi, notre action devient très vite profondément perverse et nous sommes conduits inexorablement à notre propre destruction. Ne nous exprimant plus en synergie avec la puissance divine, celle qui nous crée et nous façonne sans cesse, nous nous trouvons effectivement déconnectés de notre propre source. Plus encore, en exerçant une puissance qui s’oppose à celle de Dieu, étant placé sous l’emprise de l’ego, et à travers lui de Satan, l’Adversaire, nous nous épuisons en nous investissant dans des œuvres qui, en raison de leur caractère artificiel (non conforme à la finalité à laquelle elles sont destinées), exige une dépense considérable d’énergie pour l’obtention d’un résultat médiocre. Nous dilapidons donc nos forces, nous exposant ainsi à un état d’affaiblissement, de dévitalisation et de néantisation. C’est d’ailleurs ce dont Dieu l’avait averti lorsqu’Il lui déclara suite au drame de la Chute:

« Parce que tu as écouté la voix de ta femme et que tu as mangé de l’arbre dont je t’avais interdit de manger, maudit soit le sol à cause de toi ! A force de peines tu en tireras subsistance tous les jours de ta vie. IL produira pour toi épines et chardon et tu mangeras l’herbe des champs. A la sueur de ton visage tu mangeras ton pain, jusqu’à ce que tu retournes au sol, puisque tu en fus tiré. Car tu es glaise et tu retourneras à la glaise. ».

– Genèse III, 17-19.

Pour comprendre ce texte, rappelons que le drame de la Chute évoque ce moment dramatique où l’homme cessa d’exprimer une volonté conforme aux desseins de Dieu (à ceux de l’amour) pour désormais exprimer une volonté purement égocentrique. À ce propos d’ailleurs, Jakob Boehme écrivit:

« On reconnaîtra maintenant ce qu’est le péché. C’est lorsque la volonté humaine se sépare de Dieu pour être une volonté à soi. ».

– Jakob Boehme (1575-1624) fut l’un des plus grands théosophes mystiques de l’occident. Se consacrant à l’étude de la bible, son œuvre fut considérable et influença profondément les penseurs, les mystiques et les philosophes de l’Europe prérévolutionnaire.

Or en tentant d’organiser l’univers qui l’entoure non plus selon la finalité à laquelle Dieu l’a destiné, mais afin de satisfaire des pulsions purement égocentriques, l’homme doit redoubler de puissance: toute réalité offrant en effet une résistance naturelle lorsque l’on cherche à l’inscrire dans une vocation étrangère à sa véritable nature. À ce titre d’ailleurs, l’image de la sueur est également fort éloquente puisque l’eau évoque traditionnellement les forces de la vie. Sous forme de pluie, elle fut même associée au sperme ou à la semence céleste qui féconde le sol, celui-ci devenant alors fertile. En outre, si cette sueur est celle du visage, comme nous le donnent à penser les traductions classiques, elle est plus particulièrement encore celle des narines comme l’affirme André Chouraqui:

« A la sueur de tes narines, tu mangeras ton pain…».

– Genèse III, 19.

Or le nez est très étroitement associé à l’organe sexuel mâle comme l’affirme explicitement un ancien proverbe: « Qui a bon nez a bon membre. >>. (Loux, Françoise et Richard, Philippe, Sagesse du corps, Maisonneuve et Larose, Paris, 1978)

Dans cette perspective, la sueur des narines évoque tout naturellement une dilapidation de la puissance génésique (celle de la vie), l’homme s’investissant dans le monde pour y accomplir des œuvres vaines (car purement égocentriques et illusoires). La « sueur des narines » devient dès lors l’emblème d’une dilapidation des forces intérieures qui ne peut le conduire qu’à un état d’affaiblissement, de dévitalisation et de néantisation. Sachant que ce sentier est associé aux danses rituelles et sacrées, nous pouvons évidemment être mis en rapport avec les danses maudites, les « folles danses » que la société propose, nous conduisant vers un état de dévitalisation et d’épuisement général. De nombreux contes font d’ailleurs allusion à ces danses diaboliques (aux danses du monde) qui ensorcèlent. Pensons notamment aux Souliers rouges d’Andersen où une jeune fille, nommée Karen, chaussa des souliers rouges, poussée par sa convoitise. Aussitôt, ils eurent pouvoir sur elle et elle se mit à danser: « Elle fut épouvantée et voulut jeter les souliers rouges, mais ils tenaient bien, elle déchira ses bas, mais les souliers avaient complètement adhéré à ses pieds, elle dansait, elle était forcée de danser par les champs et les prés, par la pluie et le soleil, la nuit et le jour, et c’était la nuit que c’était le plus affreux. « Elle entra en dansant dans le cimetière ouvert, mais les morts ne dansaient pas, ils avaient beaucoup mieux à faire que de danser; elle voulut s’asseoir sur la tombe des pauvres, où poussait l’amère tanaisie, mais pour elle il n’y avait ni cesse ni repos, et lorsqu’en dansant elle s’avança vers la porte de l’église, elle y vit un ange en longs vêtements blancs, avec des ailes qui descendaient de ses épaules jusqu’à terre, son visage était grave et sévère, et il tenait à la main une large épée brillante: – « Tu danseras, dit-il, tu danseras sur tes souliers rouges jusqu’à en devenir blême et froide ! jusqu’à ce que ta peau se recroqueville comme sur un squelette ! Tu danseras de porte en porte, et aux endroits où demeurent des enfants orgueilleux et vaniteux, tu frapperas afin qu’ils t’entendent et que tu leur fasses peur ! Tu danseras, tu danseras !… » -« Grâce ! » cria Karen. Mais elle n’entendit pas ce que l’ange cria, car les souliers l’entraînèrent par le portillon dans les champs, sur des chemins et des sentiers, et toujours elle devait danser. » . (Andersen, Hans Christian, Contes Choisis, Préface d’Alain Faude-may, Gallimard, Collection Folio, Paris, 1987.)

Sur ce sentier maléficié, nous pourrions également cesser tout simplement d’agir, n’ayant plus le sentiment d’être à la hauteur, se croyant impuissant à répondre à l’appel de la vie (ou, sur un plan plus mystique, de Dieu). Nous aurons alors peur de commettre des impairs, peur de l’échec, peur de la mort et nous préférerons nous recroqueviller frileusement sur nous-mêmes sans nous investir dans l’existence (sans oser exprimer notre puissance d’action). Ce cas de figure est esquissé dans une parabole évangélique fort éclairante, celle des talents. En effet, il y est question d’un troisième serviteur qui redonna au Maître le talent qu’il lui avait confié sans l’avoir fait fructifier:

« Maître, je savais que tu es un homme dur: tu moissonnes où tu n’as pas semé, tu ramasses où tu n’as pas répandu; par peur je suis allé cacher ton talent dans la terre: le voici, tu as ton bien. ».

– Matthieu XXV, 24-25.

En enterrant son talent, le serviteur passa en réalité à côté de sa vie, ayant été paralysé par la peur. Il craignit effectivement la dureté de son Maître et redouta de perdre quelque chose en spéculant. La peur le conduisit donc à ne pas bouger. Ayant voulu éviter à tout prix de commettre une erreur, il misa sur la sécurité. Et sa peur l’amena à s’enfermer dans un état de cristallisation mortifère qui le conduisit à régresser, sachant que celui qui n’avance pas recule. À ce titre d’ailleurs, le Maître lui ôta son talent:

« Enlevez-lui donc son talent et donnez-le à celui qui a dix talents. Car à tout homme qui a, l’on donnera et il aura du surplus; mais à celui qui n’a pas, on enlèvera ce qu’il a. ».

– Matthieu XXV, 28-29.