LE SENTIER SUR L’ ARBRE DE VIE DE :

YeLI (EL)  et la lettre Beith correspondent  sur l’arbre de vie au douzième sentier (KetherBinah) que les hermétistes associent à la Conscience claire (Sekhel Bahir). Certains auteurs ont également traduit ce terme par l’expression Intelligence de la Transparence. A ce propos, les commentateurs du Sepher Yetzirah nous rapportent que « le douzième sentier est appelé l’Intelligence de la Transparence car c’est de cette espèce de Magnificence appelée Chazchazit que proviennent les visions de ceux que l’on voit en apparition. ». En effet, ce sentier correspond essentiellement à une expérience initiatique nous plaçant en contact direct avec les plans divins, ceux-ci se révélant sous la forme de visions. Ce sentier nous  permet donc de percevoir l’origine (la cause) d’une réalité, mais égaiement son devenir (son destin). La tradition hébraïque lui a toujours accordé une très grande importance puisqu’il s’agit en fait du sentier à l’origine reine de l’expérience prophétique. Or nombreux sont ceux qui, dans le monde antique, consultaient les prophètes pour connaître la cause d’une calamité, d’un désastre ou d’une défaite affligeant leur royaume. Pensons, par exemple, au roi David qui demanda à Yahvé la cause d’une famine:

«Au temps de David, il y eut une famine pendant trois ans de suite David s’enquit auprès de Yahvé, et Yahvé dit: « Il  y a du sang sur Saül et sur sa famille, parce qu’il a mis à mort les Gabaonites ». ».

Samuel XXI,1

De même on consultait traditionnellement les prophètes pour connaître son destin. A titre d’exemple, Pharaon fit venir Joseph pour interpréter son rêve. Le prophète lui dit alors:

« Dieu a annoncé à Pharaon ce qu’il va accomplir: voici que viennent sept années où il y aura grande abondance dans tout le pays d’Egypte, puis leur succéderont sept années de famine et on oubliera toute l’abondance dans le pays d’Egypte… ».

Genèse. XII 28-30.

Il importe de préciser que la vision associée à ce sentier est une forme de perception intérieure beaucoup plus subtile que les diverses formes de voyance relevant du psychisme (comme les multiples mancies avec support). En ce sens, elle suppose de la part du prophète une grande ascèse et une capacité à transcender les limites de son ego, cette disposition se traduisant essentiellement par une attitude d’accueil et de totale ouverture face aux impulsions divines. Autrement dit, la dimension corporelle (la personnalité) du prophète devient alors un vase transparent ou une maison accueillant la lumière divine, pour reprendre une image associée à la lettre Beith étudiée précédemment. Ce faisant, il est alors capable d’incarner pleinement la puissance divine pour ainsi l’exprimer sans ombrage dans les ténèbres du monde.

A ce titre, la tradition biblique insiste bien sur le fait que les prophètes ne s’approprient pas leur don pour assouvir un désir de puissance mais qu’ils le reçoivent, au contraire, sans qu’ils l’aient recherché, ce don étant souvent reçu avec étonnement parle prophète élu. En ce sens, Amos s’adresse ainsi à Amasias:

«Je ne suis pas prophète, je ne suis pas frère prophète; je suis bouvier et pinceur de sycomores. Mais Yahvé m’a pris de derrière le troupeau et Yahvé m’a dit: « Va, prophétise à mon peuple Israël ». »

Amos VII, 14-15

 De même, Yahvé déclare à Jérémie:

« Avant même de te former au ventre maternel, je t’ai connu; avant même que tu sois sorti du sein, je t’ai consacré; comme prophète des nations, je t’ai établi »

Jérémie 1, 5

 

Ainsi donc,

« Aucune prophétie d’Ecriture n’est objet d’explication personnelle; ce n’est pas d’une volonté humaine qu’est jamais parvenue une prophétie, c’est poussés par l’Esprit Saint que des hommes ont parlé de la part de Dieu ».

Pierre I, 20-21

Bien souvent, cette nécessité d’avoir su transcender les limites de l’ego s’exprime en outre par un retrait ou une prise de distance par rapport au monde (le monde étant une projection extérieure de l’ego). Ainsi, les prophètes de la tradition biblique sont toujours des hommes qui n’appartiennent plus au milieu dont ils sont issus. En ce sens, nous avons déjà précisé qu’Amos fut pris par Yahvé :

« de derrière le troupeau ».

Amos VII, 15

Quant à Jérémie, Dieu lui dit:

« Ne prends pas de femme; tu n’auras en ce lieu ni fils ni fille ! ».

Jérémie XVI, 2

Plus encore, nous avons vu précédemment que la lettre Beith évoque la maison (BeithYodTav), c’est-à-dire la création, en tant que fille (Beith Tav) de Dieu, qui porte en son sein la puissance divine (Yod), une puissance dynamique qui la façonne, la structure et l’alchimise pour l’amener progressivement à sa réalisation suprême, à son union avec le Créateur. Or celui qui chemine sur le douzième sentier devient précisément une fille de Dieu (placée dans une attitude d’accueil et d’ouverture face à la divinité) portant en son sein une formidable puissance divine qui, tel un ferment alchimique, épure et modèle l’humanité pour la conduire progressivement à une plus étroite relation avec Dieu (ceci étant le but principal de la prophétie).

Ceci apparaît très clairement dans la tradition biblique qui considère le prophète comme un porte-parole de Dieu guidant l’humanité pour la ramener à Lui. En ce sens, les prophètes exhortent à respecter les exigences de l’Alliance et dénoncent l’idolâtrie ou l’injustice. Ainsi, lorsque le roi ou le peuple hébreu se tournait vers l’Assyrie ou l’Egypte pour en attendre un secours, les prophètes leur rappelaient fermement que leur confiance ne pouvait être placée qu’en Yahvé. Dans cette perspective, si le prophète est fille de Dieu (Beith Tav) par sa réceptivité et sa soumission à l’autorité divine, sa parole est, quant à elle, comparable à la puissance divine (Yod) elle-même, ce ferment alchimique que l’on fait bien de regarder

« Comme une lampe qui brille dans un lieu obscur, jusqu’à ce que le jour commence à poindre et que l’astre du matin se lève dans vos cœurs. ».

Pierre 1, 19

Considérant ce qui précède, le prophète évoque de manière éloquente le symbolisme de la lettre Beith dans la mesure où il accueille la volonté divine, lui permettant ainsi de s’incarner pour conduire l’humanité à la réalisation des desseins divins.

Comme toutes les dimensions de l’arbre de vie, ce douzième sentier peut également être maléficié. Il incarne alors l’opacité d’une conscience qui, non seulement s’avère incapable d’entrer en contact avec les plans divins, mais qui tente également de substituer à ces plans divins ses propres désirs. A ce titre, la tradition hébraïque a toujours dénoncé cette attitude perverse caractérisant les faux-prophètes. Pensons, par exemple, aux paroles que Yahvé adressa à Jérémie:

« C’est le mensonge que ces prophètes prophétisent en mon nom; je ne les ai pas envoyés, je ne leur ai rien ordonné, je ne leur ai point parlé. Visions de mensonge, divinations creuses, rêverie de leur cœur, voilà, ce qu’ils vous prophétisent. ».

Jérémie XIV. 14

En fait, cette incapacité d’entrer en contact avec les plans divins nous révèle toujours que l’individu n’a pas encore su transcender les limites de son moi personnel, sa conscience étant encore obscurcie par les convoitises d’un ego qui la domine. A ce titre, la tradition biblique insiste bien sur le fait que les faux prophètes sont essentiellement animes par des pulsions égocentriques et instinctuelles.

En effet, ils « sont des vantards, des imposteurs ».

Sophonie III, 4

 « Du plus petit au plus grand, tous sont avides de rapines, … tous ils pratiquent le mensonge. Ils pansent à la légère la blessure de mon peuple en disant: « Paix ! Paix I » alors qu’il n’y a point de paix. Les voilà dans la honte pour leurs actes abominables, mais déjà ils ne sentent plus la honte, ils ne savent même plus rougir. ».

Jérémie VI, 13-14

En ce sens, loin d’être en retrait par rapport au monde (le monde étant une projection extérieure de l’ego), celui qui chemine sur le douzième sentier maléficié est totalement soumis à l’esprit du monde, devenant même un vecteur privilégié des forces de la perdition. Pensons, par exemple, à Jézabel accusée d’entraîner les fidèles à la fornication et à la consommation de viandes impures:

« Mais j’ai contre toi que tu tolères Jézabel, cette femme qui se dit prophétesse; elle égare mes serviteurs, les incitant à se prostituer en mangeant des viandes immolées aux idoles. »

Apocalypse II, 20

Sur un plan symbolique, l’image de la prostitution évoque bien la relation adultère de celui qui se détourne de Dieu (de l’Unique) pour se focaliser sur le monde extérieur (celui du multiple). Quant à la consommation de viandes immolées aux idoles, elle évoque les biens de ce monde, porteurs de forces mortifères qui, loin de sustenter, souillent et empoisonnent celui qui les consomme. Ainsi, si le douzième sentier est un lieu où, nous plaçant dans une attitude d’accueil et d’ouverture face à la divinité, éveille en son sein une formidable puissance divine qui lui permet de s’approcher de Dieu, nous devenons sous sa forme maléficiée un lieu où, se détournant de Dieu pour se placer dans une attitude de réceptivité face au monde, nous  nourrissons en nous des forces mortifères  qui souillent et empoisonnent son être tout entier.