Le nom du Chérubin YéZaL (EL) est constitué d’un radical composé des lettres YoD–ZaYiN et LaMeD à partir desquelles nous pouvons former le terme zîl (ZaYiN –YoD–LaMeD) désignant « le flot » ou « le ruissellement ». Ce même mot signifie également « bon marché » (il constitue du reste 1a racine du. terme zîlout (ZaYiN –YoD–LaMeD–VaV–TaV) désignant «la médiocrité » ou « la dépréciation »). De même, le mot Zal (ZaYiN –LaMeD) évoque ce qui est « vil » ou « méprisable », le terme zalézal (ZaYiN–LaMeD–ZaYiN–LaMeD) signifiant « dédaigner» ou « mépriser ».). Quant à la particule EL, elle place ce radical dans une perspective de relation à Dieu. Pour saisir la signification profonde et l’enjeu auquel ce Chérubin se réfère nous nous intéresserons donc à l’ ‘étude de ces mots.
À propos du ruissellement, nous en retrouvons une très belle image dans le livre des Nombres lorsque Balaam profère son oracle
« de celui qui entend le verbe divin, qui perçoit la vision du Tout-Puissant, il fléchit, mais son œil reste ouvert : .Qu’elles sont belles tes tentes, ô Jacob ! Tes demeures, ô Israël ! Elles se développent comme des vallées, comme des vergers le long d’un fleuve; Dieu les a plantées comme des aloès, comme des cèdres au bord .des eaux. La sève ruisselle de ses blanches, et sa graine est abondamment arrosée; son roi est plus grand que n’est Agag, sa royauté est souveraine. ».
– Nombres XXIII, 4-7.
En effet, ces paroles illustrent déjà de manière admirable l’enjeu du Chérubin YéZaL (EL) qui nous invite à contempler Dieu et à découvrir, dans le regard amoureux qu’Il nous prodigue, toute l’importance que nous possédons à Ses yeux, accédant et jouissant dès lors d’une exaltation et d’une plénitude sans pareille. Sous l’influence de YéZaL (EL), nous découvrons donc que si l’homme n’est qu’une créature misérable, vile et méprisable (pour faire écho au mot zal (ZaYiN–LaMeD) que nous avons extrait du radical), c’est malgré tout sur nous que Dieu focalise tout son amour, nous appelant à s’unir à Lui.
Plus encore, sans le YoD apparaissant au niveau du radical (YoD–ZaYiN –LaMeD) l’homme est évidemment méprisable (ZaYiN –LaMeD) puisqu’il est séparé de sa source, de la puissance divine. Mais avec celle-ci, il s’accomplit en accédant à la plénitude de sa mesure et en transcendant ce qu’il est ontologiquement. Pour faire à nouveau écho à l’image de la rivière, elle devient le symbole d’une vivification de l’être et d’un certain accomplissement de ses potentialités. Il n’est donc pas étonnant qu’au niveau du rituel amérindien de la sweat Lodge (tente de sudation), l’aspirant termine son initiation dans la rivière, lieu où il valorise en lui ce qu’il est et reçoit la force vive qui lui permettra d’avancer sur le sentier de son accomplissement.
Ainsi, YéZaL (EL) nous fait découvrir que nous sommes bien plus qu’une simple poussière perdue sur une planète banale gravitant autour d’une étoile insignifiante à l’intérieur d’une galaxie perdue au milieu de milliards d’autres galaxies. Nous sommes bien plus qu’un être dont l’existence découlerait d’une suite d’événements hasardeux, sans véritable finalité, comme le laissent parfois entendre certains propos scientifiques concernant 1’apparition de la vie:
« les noyaux errent au cœur ardent des étoiles. Une collision a lieu et un noyau plus lourd en résulte. Deux molécules viennent en contact dans l’océan primitif. Elles se combinent et donnent naissance à un système plus complexe. Au sein d’une cellule, un rayon cosmique provoque une mutation. Une protéine acquiert des propriétés nouvelles. Bien sûr, chacune de ces particules possédait la capacité de se combiner ou de se transformer. Mais il a fallu un événement fortuit pour que cette possibilité se matérialise. L’organisation du monde exige que la matière s’abandonne aux jeux du hasard. »
– Reeves Hubert, Patience dans l’azur, Éditions du Seuil, Pari., 1988.
L’homme n’est pas pour Dieu un être sans valeur, un anonyme dont l’absence serait sans conséquence. Au contraire, sous le regard valorisant de l’Éternel, chacun de nous découvre son extraordinaire spécificité. Chacun réalise qu’il est pour son .Créateur un Être infiniment précieux, plus précieux que tout l’or du monde. Chacun redécouvre donc son immense valeur. Pour s’en convaincre, il suffit de constater l’impact qu’un regard valorisant, un regard d’amour, peut avoir sur un être. Ainsi, certains êtres existent « en ce sens qu’ils mangent, qu’ils boivent, qu’ils respirent. Mais n’appelons pas cela l’existence au sens fort, ils sont semb1ables à un néant, ils s’en approchent, si l’on peut dire, en se dégradant progressivement. Eh bien ! écrit François Varillon, j’ai le pouvoir inouï de recréer un tel être. Simplement en le regardant avec amour, en m’intéressant à lui, en faisant attention à lui. À partir du moment où il voit un regard d’amour se poser sur lui, il se tourne vers l’existence, alors qu’il était en marche vers le néant et il peut devenir, ou redevenir, authentiquement un homme. II y a quelques années, des prêtres et des laïcs de la paroisse Saint Séverin de Paris avaient organisé des repas avec des blousons noirs. Les prêtres m’ont dit : c’était comme si l’on assistait à un retournement. Ces garçons étaient en marche vers le néant; quand ils ont vu qu’on s’intéressait à eux, qu’on posait sur eux un regard d’Amour ou d’amitié, ils se sont retournés vers l’existence, ils ont repris confiance en eux-mêmes, ils ont recommencé à vivre, au sens fort du mot et non simplement à respirer, boire et manger. ».
– Varillon, François, Joie de croire, Joie de vivre, Éditions du Centurion, Parts, 1981
En fait nous pourrions dire: « je leur redonne la force d’être et d’exister c’est-à-dire d’exprimer de manière plénière leur identité profonde. ». En effet, dans mon regard amoureux, ces êtres banals trouvent une force extraordinaire qui les transforme, les extirpant du néant dans lequel le monde les avait enfermés pour accéder à une véritable grandeur. En d’autres termes, ils retrouvent la force d’exprimer la singularité qui les rend infiniment précieux puisque « l’amour dit d’abord: je veux que l’autre soit, je veux que tu sois Je veux que l’autre soit et soit autre que moi.- « Je veux que tu soie est le premier mot de l’amour. L’amour différencie. »
-Varillon, François, Vivre le Christianisme, Bayard Editions / Centurion, Paris, 1992,
En ce sens, un regard d’amour ou d’amitié est un regard d’ambition pour l’autre. En effet, dire à quelqu’un qu’on l’aime, c’est être ambitieux pour lui, c’est ne pas vouloir le dominer ou l’étouffer en projetant sur lui l’image à laquelle nous voudrions qu’il se conforme (une image purement égoïque révélant bien souvent nos propres manques, ce que nous n’avons pas) C’est vouloir, au contraire l’éveiller à lui-même et le porter à la plénitude de son être, Nous touchons là un autre enjeu du Chérubin YéZaL (EL) : contempler l’autre avec amour, éveillant ainsi sa spécificité en lui donnant la force nécessaire pour l’exprimer dans toute sa plénitude.