L’ANALYSE KABBALISTIQUE DE L’ANGE VaHOu (EL)
Le nom de l’Elohim-Malkhi VaHOu (EL) est constitué d’un radical formé des lettres VaV, He et VaV qui contient en lui-même le mot hébreu VaV Elohim-Malkhi (VaV– VaV désignant à la fois la sixième lettre de l’alphabet hébreu et le « crochet », deux réalités d’ailleurs très étroitement associées puisque cette lettre est issue d’un ancien idéogramme représentant un crochet. Pour cerner l’enjeu propre à cet Elohim-Malkhi, nous devrons donc orienter notre étude sur l’analyse symbolique de la lettre VaV et du crochet, sachant par ailleurs que l’homme est lui-même associé à cette réalité comme en témoignent bon nombre de kabbalistes qui voient, dans la calligraphie du VaV , l’image de la colonne vertébrale évoquant à la fois l’âme humaine et la nature profonde de l’homme tout entier.
Plus précisément encore, la lettre VaV et l’image du crochet à laquelle elle est associée correspondent à une seule et même dynamique consistant à établir un rapport étroit entre deux éléments, chacun étant dès lors intimement lié à l’autre. Ceci est du reste admirablement repris, sur un plan purement grammatical, par le fait que la lettre VaV forme, à elle seule, la conjonction de coordination « et » servant à unir deux termes entre eux. Elle est donc étroitement associée, sur un plan kabbalistique, comme sur un plan symbolique, à une fonction d’union ou de communion. C’est d’ailleurs pourquoi les anciens l’ont souvent considérée comme une représentation privilégiée de l’homme dont la vocation première est justement d’établir un rapport de communion étroite entre le Créateur et Sa création. Dans la même perspective, si le mot VaV signifie « crochet », il désigne aussi le clou en tant que tige métallique servant à fixer, à assembler ou à suspendre. Or le symbolisme associé à cet objet est notamment évoqué dans la bible alors qu’Elyaqim est établi dans ses fonctions de maître du palais sous le roi Ezéchias. En effet, le Seigneur bénit Elyaqim (qui reçut alors la clé de la maison de David) en disant :
« Et je l’enfoncerai comme un clou en un lieu solide ; il deviendra un trône de gloire pour la maison de son père. ».
– Isaïe XXII, 23.
Dans ce passage, le clou évoque très clairement la fonction du VaV consistant à être canal (agent de liaison ou de médiation) par lequel la grâce divine peut s’exprimer au sein du créé, l’univers (évoqué par l’image du trône) participant dès lors pleinement à la gloire de son Créateur.
C’est sans doute également dans une perspective similaire que nous pouvons interpréter le fait que le Christ fut cloué à une croix et non attaché à elle »
À ce titre d’ailleurs, les Pères de l’Église virent dans Elyaqim une préfiguration du Christ, lui-même détenteur de la clé de David, comme maître de palais dans le royaume céleste.
En effet, avec ses quatre branches traditionnellement associées aux quatre éléments (le feu, l’air, l’eau et la terre) et aux quatre points cardinaux (le nord, l’est, le sud et l’ouest) structurant la matière, la croix évoque symboliquement l’univers créé. Le Christ incarne, quant à lui, la présence même de Dieu en tant que Créateur. Dès lors, les clous unissant le Christ à la croix pourraient se référer à la communion étroite qui s’établit entre Dieu et Sa création, celle-ci amorçant dès lors une véritable expérience de communion par le mystère de l’amour dont l’événement du Golgotha est sans doute la plus grande illustration.
De ces premiers éléments, nous pouvons déjà en déduire que l’enjeu de l’Elohim-Malkhi VaHOu (EL) s’inscrira dans une dynamique de communion étroite entre l’homme et Dieu, ceux-ci n’étant plus animés que d’un seul et même souffle évoqué par la lettre He constituant, avec les deux VaV, le radical de ce nom. En ce sens, la prière (qui demeure essentiellement un échange de souffle) peut d’ailleurs être très étroitement associée à VaHOu (EL). En effet, elle est un acte d’intimité réservé à l’élu, à celui qui est habité par le souffle de l’Esprit conformément à cet événement rapporté par saint Jean :
« Ayant dit cela, il [le Christ] souffla sur eux et leur dit : “Recevez l’Esprit Saint.” ».
– Jean XX, 22.
Plus encore, elle est un espace privilégié où l’homme redonne à Dieu la grâce qu’il a reçue (où il rend grâce), non parce qu’il la refuse ou qu’il souhaite s’en priver, mais parce qu’il veut ainsi rendre possible le fait qu’il la reçoive sans cesse, reconnaissant qu’elle vient de Lui. En ce sens d’ailleurs, la prière est d’abord action de grâce en tant que conversion du désir qui n’entend plus posséder ce qu’il a reçu.
Or cette conversion est d’autant plus difficile qu’elle appelle la mort de toute volonté d’accaparement comme de toute tendance égoïque à vouloir ne rien devoir à personne. C’est sans doute pourquoi il faut tant insister auprès de l’enfant pour lui apprendre à dire « merci », son instinct l’incitant, dès les premiers moments de son existence en ce monde, à prendre plutôt qu’à recevoir. La prière devient donc effectivement le lieu d’une conversion, dans le sens où l’objet de mon désir devient Dieu vers lequel je tends de tout mon être. Saint Bernard reprend à ce titre le mot du psalmiste :
« Mets tes délices dans le Seigneur, Il comblera les désirs de ton coeur ! »
– Psaume 37 (36), 4.
Pour accentuer encore le sens de la prière. En effet, celle-ci permet dès lors de passer d’une expérience exclusivement corporelle et limitée du plaisir à une expérience spirituelle illimitée. En outre, j’apprends à ne pas rechercher mon bonheur, mais l’accomplissement de la volonté de Dieu. D’ailleurs,
« comment ne pas engager tout l’élan de ton désir dans l’action de grâce en voyant de quel grand soin Dieu t’entoure ? En effet, toutes les fois que, par ignorance, tu demandes ce qui pour toi est inutile, Lui, au lieu de t’écouter à ce sujet, t’accorde à la place un don plus utile. ».
– Bernard de Clairvaux, Sermons pour le Carême, Sermon V, 7.
En ce sens, l’action de rendre grâce ne vient pas après l’exaucement de la prière mais avant. En effet, la prière n’est pas un effort pour obliger Dieu à m’exaucer, mais une démarche de confiance qui cherche à discerner comment ma demande va rejoindre l’exaucement que Dieu lui a préparé et comment mon désir va coïncider avec le désir qu’Il a pour moi. Ainsi,
« créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, l’homme possède une essentielle orientation qui le détermine. La ressemblance se propose en la réalisation personnelle de l’image objective. Elle déclenche l’épectase, la tension intentionnelle vers le haut, vers le Très-Haut. Comme toute copie attirée par son original, l’homme-image aspire à se dépasser pour se jeter en Dieu et y trouver l’apaisement de sa nostalgie. La sainteté n’est autre chose que la soif inextinguible, la densité du désir de Dieu. ».
– Evdokimov, Paul, Les Âges de la vie spirituelle, Préface d’Olivier Clément, Desclée de Brouwer, Paris, 1995.
En effet, l’homme est, comme nous l’avons déjà souligné, un être de désir, ce désir étant fondamentalement un désir de Dieu. Or si l’homme désire Dieu, Dieu désire tout autant l’homme. Respectueux de la tradition, l’hermétiste affirme d’ailleurs que la raison de l’Incarnation n’est pas la chute de l’homme mais le
« désir prééternel » de Dieu de devenir homme, son désir de faire de l’homme, comme l’écrit Paul Evdokimov, une « théophanie ». – Evdokimov, Paul, La femme et le salut du monde, Desclée de Brouwer, Paris, 1978.
Dès lors, l’homme et Dieu sont deux êtres qui se désirent, chacun espérant et attendant que l’autre s’ouvre à son amour et lui exprime à son tour le même sentiment. En effet, animé d’un désir amoureux, on ne revendique plus rien de l’autre. En aucun cas, on ne pourra le contraindre à répondre à ses attentes car on s’éloignerait alors de la quête même de son désir (l’union amoureuse avec l’autre). Plus encore, en faisant intervenir l’autre, le désir instaure un véritable échange entre les deux protagonistes. Ainsi, en reprenant l’exemple de la relation amoureuse, si l’autre s’ouvre à lui et lui exprime le même sentiment, il s’établit dès lors une dynamique ascensionnelle : le désir de l’un venant accroître le désir de l’autre et vice-versa. I1 en résulte évidemment une union toujours plus intime entre les deux êtres.
Citons l’exemple de saint Jean de la Croix qui écrit :
« si l’âme cherche Dieu, son Bien-Aimé la cherche davantage ; et si elle lui envoie ses désirs amoureux qui lui sont d’aussi bonne odeur que la petite baguette de fumée qui sort des parfums aromatiques de la myrrhe et de l’encens, lui de son côté, lui envoie l’odeur de ses onguents au moyen desquels il l’attire et fait qu’elle court après lui. Or ces onguents sont ses divines inspirations et touches, lesquelles, toutes les fois qu’elles sont de Dieu ; sont modérées et réglées avec quelque motif de la perfection de la loi de Dieu et de la foi, par la perfection de laquelle l’âme doit aller s’approchant toujours plus de Dieu. Et ainsi l’âme doit savoir que le désir de Dieu en toutes les grâces qu’il lui fait au moyen de ses onctions et de l’odeur de ses onguents, est de la disposer pour d’autres onguents plus précieux et plus délicats, plus conformes à Dieu, jusqu’à ce qu’elle vienne à une si pure et si délicate disposition qu’elle mérite l’union avec Dieu et la transformation substantielle en toutes ses puissances. ».
– Jean de la Croix, La vive flamme d’amour, in Œuvres Complètes, Desclée de Brouwer, Paris, 1967.
Ainsi, en désirant nous unir à Dieu, nous permettons à Dieu de nous combler de Ses grâces dans la mesure même de l’ouverture de notre âme. Plus encore, ces grâces nourrissent et enflamment alors notre désir de Dieu qui nous prodigue en retour de nouvelles grâces, plus abondantes et plus élevées. Il en résulte une dynamique d’échange contribuant à une union toujours plus intime avec le Très-Haut. Or c’est précisément cette dynamique d’échange dans une perspective d’union de plus en plus intime entre l’homme et Dieu que favorise l’Ange Elohim-Malkhi VaHOu (EL).