L’ANALYSE KABBALISTIQUE D’ANI(EL) ANIEL

L’ANALYSE KABBALISTIQUE DE ANI (EL) ANIEL

Messager de Celui en dehors duquel rien n’existe

Le Seraphim ANI (EL)

Le nom du Seraphim ANI (EL) est constitué d’un radical composé des lettres ALePh, NoUN et YoD à partir desquelles nous pouvons former le mot (ALePhNoUNYoD) qui, prononcé Anî , signifie « je » ou « moi » et qui, prononcé Ôni, signifie le « deuil » ou la « misère ». Par ailleurs, nous pouvons également constituer le mot Aïn (ALePhYoDNoUN) signifiant le « néant ». Quant à la particule El, elle place ce radical dans une perspective de relation à Dieu. Pour saisir l’enjeu auquel ce Seraphim se réfère, entreprenons donc l’analyse symbolique des mots que nous avons extraits du radical.

À ce titre, nous constatons déjà que c’est la réalité du moi qui est directement impliquée par le Seraphim ANI (EL) puisque le radical (ALePhNoUNYoD), prononcé Anî, signifie « je » ou « moi ». En ce sens, cet ange va lutter contre toute prétention du moi humain à exister par lui-même alors qu’il n’est rien comme l’évoque de manière éloquente le mot aïn (ALePhYoDNoUN) signifiant « néant ». Nous savons en effet que Dieu créa l’homme à partir de la glèbe du sol. Or cette glèbe était directement issue du néant comme l’affirme de manière fort explicite la doctrine catholique :

« la création est l’acte par lequel Dieu, sans tirer le monde de sa propre substance, ni d’aucun élément préexistant, le fait apparaître hors de lui, là où rien n’existait. ».

– Dictionnaire de Théologie catholique commencé sous la direction de A. Vacant et continué sous celle de E. Mangenot, tome III (deuxième partie), Letouzey et Anné, Paris, 1911.

En d’autres termes, Il créa le monde de ce qui n’est pas Lui, c’est-à-dire du néant ou du rien comme nous pouvons encore le lire dans le second livre des Maccabées :

« Je t’en conjure, mon enfant, regarde le ciel et la terre et vois tout ce qui est en eux, et sache que Dieu les a faits de rien et que la race des hommes est faite de même manière. ».

– 2 Maccabées VII, 28.

Saint Paul dira d’ailleurs de Dieu qu’Il est Celui

« qui donne la vie aux morts et appelle le néant à l’existence. ».

– Romains IV, 17.

En tant que créature de glèbe, l’homme est donc lui-même issu du néant et son existence est dès lors un don de Dieu qui se renouvelle d’ailleurs à chaque instant de sa vie. Saint Irénée de Lyon écrira en ce sens :

« Ce n’est pas de nous, ni de notre propre nature que nous tenons la vie : elle nous est donnée, selon la grâce de Dieu. ».

– Tresmontant, Claude, Le Problème de l’âme, Éditions du Seuil, Paris, 1971.

Toutefois, cette néantitude humaine est une réalité difficile à accepter pour l’ego qui, pris d’un fol orgueil, cherche à se substituer au Créateur en tentant d’être le centre de l’univers, faisant tourner le monde autour de lui. Or c’est précisément ce contre quoi agit le Seraphim ANI (EL).

En effet, il nous invite à lutter contre les puissances égoïques qui nous maintiennent dans un état mortifère en combattant en nous toute inclination à vouloir agir en fonction d’une image idéale projetée par notre ego et érigée en véritable idole (et non en fonction de ce que nous sommes véritablement). Sur un plan supérieur, cet enjeu consiste également à défendre les valeurs de l’amour en combattant autour de nous toutes les situations contribuant au développement d’un culte de la personne (une dynamique résolument contraire à celle du don de soi inhérente à l’expression de l’amour).

D’autre part, si le mot aïn aïn (ALePhYoDNoUN) évoque de prime abord le néant du moi humain en tant que réalité qui n’existe pas par elle-même, il évoque également, sur un plan supérieur, une autre sorte de néant, celui de Dieu, en tant qu’image employée par les kabbalistes pour désigner la réalité inconcevable du Créateur à laquelle le moi véritable (l’essence profonde) est appelé à participer. À propos de cette image, les anciens affirmaient unanimement que Dieu ne peut être ni perçu, ni conçu, ni imaginé, ni décrit par l’homme. Le Sepher ha Zohar le désigne d’ailleurs comme étant « le Mystérieux des Mystérieux » et « l’Inconnu des Inconnus » conformément à ce mot célèbre :

« À toi, Seigneur, la royauté : tu es souverainement élevé au-dessus de tout. ».

– 1 Chroniques XXIX, 11.

C’est probablement Isaac l’Aveugle qui fut le premier kabbaliste à désigner plus précisément cette dimension infinie et insaisissable de Dieu en utilisant une expression devenue célèbre par la suite. Il s’agit du terme hébreu Ain Soph, qui se traduit par les mots « Vide sans borne » et qui fut repris et plus précisément défini par Azriel de Gérone (un disciple d’Isaac l’Aveugle) dans son commentaire sur le Sepher Yetsirah: « Aïn Soph est l’état indifférencié dans la parfaite Unité, au sein de laquelle il ne se produit aucun changement. Et comme il est sans limite, rien n’existe hormis lui ; comme il est au-dessus de tout, il est le principe en lequel se rencontrent tout le caché et le visible ; et comme il est caché, il est la racine de la foi et de l’incrédulité, et les sages de l’exploration approuvent celui qui dit que notre compréhension de lui ne peut se faire que par la voie de la négation. ».

Cette compréhension de Dieu par voie de négation est d’ailleurs assez voisine de celle de Maître Eckhart (1260-1328), le célèbre mystique chrétien allemand qui fut, à peu de choses près, le contemporain d’Azriel de Gérone. En effet, Maître Eckhart écrivit :

« Des maîtres frustres disent que Dieu est un Être pur, mais Il est aussi haut au-dessus de l’être que l’ange le plus élevé l’est au-dessus d’une mouche. Je parlerai aussi incorrectement de Dieu en l’appelant un être, que si je disais du soleil qu’il est blême ou noir. Dieu n’est ni ceci ni cela. Un maître dit : “Si quelqu’un se figure avoir connu Dieu et avoir connu quelque chose, il n’a pas connu Dieu”. Mais quand j’ai dit que Dieu n’était pas un être et qu’il était au-dessus de l’être, je ne lui ai pas par-là dénié l’être, au contraire : j’ai exhaussé l’être en Lui. Si je prends le cuivre dans l’or, il y est sur un mode supérieur à celui qu’il a en lui-même. Saint-Augustin dit : “Dieu est sage sans sagesse, bon sans bonté, puissant sans puissance.” ».

– Maître Eckhart, Traités et Sermons, Traduction de Alain de Libera, GF-Flammarion, Paris, 1993.

Dès lors, en nous aidant à lutter contre la prétention de notre moi à être le centre de l’univers alors que nous sommes que néant (vide), le Seraphim ANI (EL) nous amènera également, sur un plan supérieur, à lutter contre toute prétention à vouloir saisir Dieu et à vouloir Lui projeter nos aspirations égoïques (nous en faisant une véritable idole), Dieu demeurant totalement incompréhensible à tout entendement. En fait, nous découvrons ainsi que Celui qui est néant pour l’homme (Dieu) est en fait le Seul qui puisse dire « Je »

« Je suis Celui qui est »

– Exode III, 14.

Déclare le Seigneur à Moïse) alors que celui qui dit « je » (l’homme) n’est en fait que néant (il n’est rien par lui-même). Toutefois, en reconnaissant la néantitude de son moi, l’homme peut dès lors participer au néant de Dieu (ce néant qui est vie et non plus vide). Comme l’a écrit Maurice Blondel :

« L’homme ne peut gagner son être qu’en le reniant en quelque façon pour le rapporter à son principe et à sa fin. Renoncer à ce qu’il a de propre et anéantir ce néant qu’il est, c’est recevoir cette vie pleine’ à laquelle il aspire, mais dont il n’a pas la source en soi. Il faut donner le tout pour le tout… ».

– Cité dans Varillon, François, Joie de croire, joie de vivre, Éditions du Centurion, Paris, 1981.


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