Le nom de la Domination YeRaTh (EL) est constitué d’un radical composé des lettres à partir desquelles nous pouvons former le mot [Yod-Tav-Reish] qui, prononcé yatér (YoD–TaV–ReISh), signifie « superflu », « excessif » ou « supplémentaire » et qui, prononcé yeter, désigne le « reste ». Dans la même perspective d’ailleurs, si nous ajoutons la lettre He à ce mot, nous obtenons le terme îterah (YoD–TaV–ReISh–He) désignant le « surplus » ou l’« excédent ». Enfin, nous pouvons former le mot tar (TaV–ReISh) signifiant « parcourir », « visiter » ou « explorer ». Quant à la particule EL, elle place ce radical dans une perspective de relation à Dieu. Pour saisir la signification profonde et l’enjeu auquel cette Domination se réfère, nous nous intéresserons donc à ces mots qui se réfèrent tous à une réalité commune.
En ce sens, les notions de surplus et d’excédent pourraient tout d’abord être associées à l’épisode de la multiplication des pains dont voici le récit: « Levant alors les yeux et voyant qu’une grande foule venait à lui, Jésus dit à Philippe: “Où achèterons-nous des pains pour que mangent ces gens ?” Il disait cela pour le mettre à l’épreuve, car lui-même savait ce qu’il allait faire. Philippe lui répondit: “Deux cents deniers de pains ne suffisent pas pour que chacun en reçoive un petit morceau.” Un de ses disciples, André, le frère de Simon-Pierre, lui dit: “Il y a ici un enfant, qui a cinq pains d’orge et deux poissons; mais qu’est-ce que cela pour tant de monde ?” Jésus leur dit: “Faites s’étendre les gens.” Ils s’étendirent donc, au nombre d’environ cinq mille hommes. Alors Jésus prit les pains et, ayant rendu grâces, il les distribua aux convives, de même aussi pour les poissons, autant qu’ils en voulaient. Quand ils furent repus, il dit à ses disciples: “Rassemblez les morceaux en surplus, afin que rien ne soit perdu.” Il les rassemblèrent donc et remplirent douze couffins avec les morceaux des cinq pains d’orge restés en surplus à ceux qui avaient mangé. ». – Jean VI, 5-13.
Il y aurait beaucoup à dire sur l’enseignement symbolique de cet épisode qui nous enseigne comment faire fructifier les ressources dont nous disposons (et faire ainsi l’expérience de l’abondance et de la richesse). À un premier niveau, il nous invite à nous placer dans une attitude de confiance face à l’existence. En effet, ce n’est que dans une attitude d’ouverture face à la vie que nous pourrons nous ouvrir aux ressources prodigieuses qu’elle nous propose. À un second niveau, plus mystique cette fois, ce même passage nous invite à nous placer dans une attitude de confiance face à Dieu. C’est la raison pour laquelle cette multiplication se fait au bénéfice d’une foule qui suit le Christ, celle-ci symbolisant l’humanité qui s’est mise en quête de l’Essentiel (de la réalité divine), se plaçant dans une disposition d’ouverture face à Dieu. Plus précisément encore, la foule compte cinq mille hommes. Or cinq mille peut s’écrire en hébreu (He–ALePh) (la lettre He ayant pour valeur numérique 5 et le ALePh final ayant pour valeur numérique 1000). Sachant que le terme He–ALePh évoque un processus par lequel l’esprit devient une ouverture, une fenêtre (He), sur la réalité de Dieu, laissant Sa puissance vivificatrice (ALePh ) se manifester au sein du créé, nous pouvons déjà en déduire que ce récit met en scène des hommes en quête de l’Essentiel, c’est-à-dire dont l’esprit s’est fait ouverture sur Dieu, se plaçant dès lors en état de réceptivité face à Sa présence. Ce faisant, ils accéderont évidemment à toutes les richesses que Dieu leur prodigue. À ce titre d’ailleurs, les images du pain et du poisson sont fort éloquentes. En effet, le pain se dit en hébreu lèhèm (LaMeD–CheTh–MeM) et nous pouvons extraire de ce terme deux mots très évocateurs: rêver halam [CheTh–LaMeD–MeM] et saler malah (MeM–LaMeD–CheTh). Le rêve, nous l’avons déjà vu, est le moment où Dieu se révèle à l’homme:
« Dieu parle cependant tantôt d’une manière, tantôt de l’autre et l’on n’y prend point garde, il parle par des songes, par des visions nocturnes, quand les hommes sont livrés à un profond sommeil, quand ils sont endormis sur leur couche. Alors il leur donne des avertissements, il met le sceau à ses instructions afin de détourner l’homme du mal et le préserver de l’orgueil. ».
– Job XXXIII, 14-17.
Quant au fait de saler, nous savons que cela permet de rehausser la saveur d’un plat. Ainsi, toutes les ressources alimentaires qui ont servi à élaborer ce plat sont exaltées. À travers l’image du pain, nous entrevoyons donc un processus par lequel Dieu révèle (rend accessibles) à l’homme de prodigieuses ressources auxquelles, en temps ordinaire (c’est-à-dire lorsqu’il se place sous l’emprise de son ego), il n’aurait pas accès.
Quant au poisson, il s’écrit en hébreu dag (DaLeTh–GiMeL]. Or la lettre DaLeTh évoque le passage ou l’accès à une réalité nouvelle. Quant à la lettre GiMeL, elle évoque les ressources intérieures que l’Esprit (source de vie) met à la disposition de l’homme pour qu’il puisse assurer la croissance et l’épanouissement de son être. Ainsi, le poisson évoque un processus par lequel l’homme accède aux ressources prodigieuses qui se trouvent dans les replis intérieurs du monde, jouissant dès lors d’une extraordinaire richesse. À ce titre, le symbole du poisson en lui-même est d’ailleurs très éloquent puisqu’il a toujours évoqué l’homme qui, pénétré par la grâce divine, vit désormais dans la surabondance conformément aux paroles du Christ, ce dispensateur privilégié de la grâce:
« je suis venu pour qu’on ait la vie et qu’on l’ait surabondante. ».
– Jean X, 10.
L’épisode de la multiplication des pains et des poissons nous enseigne donc qu’en nous ouvrant avec confiance à la vie et, à travers elle à la grâce divine dont elle origine, nous nous délivrons du même coup de nos peurs existentielles (nous nos libérons de l’emprise de notre instinct de survie) car la grâce divine nous révèle les prodigieuses ressources auxquelles nous n’avions pas accès jusqu’alors et qui nous sustentent maintenant, nous comblant même à l’excès (au-delà de nos besoins immédiats). Cette notion de surabondance est d’ailleurs éloquemment illustrée par le fait qu’il resta
« douze couffins avec les morceaux des cinq pains d’orge restés en surplus à ceux qui avaient mangé. ».
– Jean VI, 13. 41
En effet, 12 est le nombre par excellence de la plénitude. À titre d’exemple, la Jérusalem céleste, telle qu’elle apparaît dans l’Apocalypse de saint Jean, est étroitement associée aux mystères de ce nombre. En effet, cette ville
« est munie d’un rempart de grande hauteur pourvu de douze portes près desquelles il y a douze Anges… ». – Apocalypse XXI, 12.
En outre, au moment où l’Ange la mesura en longueur, largeur et hauteur, il obtint chaque fois douze mille stades:
« Celui qui me parlait tenait une mesure, un roseau d’or, pour mesurer la ville, ses portes et son rempart; cette ville dessine un carré: sa longueur égale sa largeur. Il la mesura donc à l’aide du roseau, soit douze mille stades; longueur, largeur et hauteur y sont égales. ».
– Apocalypse XXI, 15-16.
Le nombre 12 évoque donc la plénitude d’une création ayant atteint son plein accomplissement. Considérant ce qui précède, nous pouvons en déduire que la Domination YeRaTh (EL) nous invite d’abord à jouir des ressources dont nous disposons avec beaucoup d’amplitude, ne craignant jamais de manquer mais nous plaçant, au contraire, dans une profonde attitude de confiance. Sur un plan supérieur, il nous invite à nous ouvrir avec confiance à la providence divine nous permettant dès lors de jouir des multiples ressources qu’elle mettra à notre disposition, faisant l’expérience d’une véritable surabondance.