ANALYSE KABBALISTIQUE DE :

LAV

Le nom du Chérubin LAV (EL est constitué d’un radical Composé des lettres LaMeD, ALePh et VaV à partir desquelles nous pouvons former le mot lav (LaMeDALePhVaV ) signifiant « non » «ne pas » et désignant «la négation ». Nous pouvons également constituer à nouveau le mot El (ALePhLaMeD), des noms traditionnels de Dieu. Quant à la particule YaH (YoD), elle place ce radical dans une perspective de relation à Dieu. Pour saisir la signification profonde et l’enjeu auquel ce Chérubin se réfère, voyons donc plus précisément la signification symbolique de ces mots.

Avant toute chose cependant, il importe de noter que les lettres de ce radical  sont identiques à celles  qui composent le nom  du Trône LEoU (YaH). Leur position diffère toutefois au niveau  des trois versets de l’Exode dont elles sont tirées. Or l’ordre d’apparition des lettres est déterminant, tout autant que les lettres elles-mêmes. En effet, n’oublions pas que la kabbale est une science des nombres. Les lettres du radical désignant LAV (EL), occupant une position différente, s’inscrivent donc dans une dynamique propre associée cette fois à la contemplation de Dieu permettant d’accéder à Sa connaissance qui transforme (l’enjeu propre aux Trônes consistant, quant à lui, à assumer la finitude propre à sa condition de créature en s’établissant fermement au sein de ses limites, comme nous le préciserons dans le prochain chapitre).

Dans cette perspective, nous verrons que le terme LAV (LaMeDALePhVaV ) nous invite à assumer pleinement nos limites  existentielles sans chercher à les outrepasser ou à les détruire. Il nous rappelle donc que nous sommes un être profondément limité (une  créature), dépourvu de toute puissance divine et conséquemment incapable de nous accomplir par, nous-mêmes. En ce sens, nous  ne sommes  pas ce surhomme ou ce dieu en devenir capable d’exister sans son Créateur (sans le Tout-Autre) comme certains propos associés aux théories du Nouvel Âge le suggèrent. Quant au nom divin El, nous venons à nouveau de préciser qu’il évoque le nom  Elohim, un nom incarnant la fonction créatrice de Dieu et son action immanente au sein du créé. Ainsi, Elohim apparaît comme un Dieu conférant à chacune de Ses créatures l’existence et la vie, lui prodiguant les  ressources nécessaires à son développement. C’est du reste ce qu’affirme clairement le psalmiste:

« Bénissez, peuples, notre Elohim; faites entendre la voix de sa louange ! Il met notre être en vie. ».

– Psaume 66 (65), 8-9 (version Chouraqui).

Pensons également à Job qui vécut une relation toute privilégiée avec Elohim. En effet

« Cet homme est intègre et droit; il frémit d’Elohim et s’écarte du mal. Sept fils et trois filles sont enfantés par lui. Et c’est son cheptel: sept mille ovins, trois mille chameaux, cinq cents paires de bovins; cinq cents ânesses, et une domesticité fort nombreuse. ».

– Job 1, 1-3 (version Chouraqui).

Dieu admira la droiture de Job, mais Satan lui répondit:

« Est-ce gratuitement que- Job frémit d’Elohim ? N’est-ce pas toi-même qui l’as couvert, lui, sa maison et tout ce qui est lui, autour ? Tu bénis l’œuvre de ses mains, et son cheptel fait brèche Sur terre. ».

– Job I, 9-10 (version Chouraqui)

Affligé de mille finaux, réduit à la plut noire misère, Job regrettera alors ce temps où Elohim le comblait de ses grâces:

« Qui me rendra les lunaisons d’antan, les jours où Eloha me gardait ? s’exclame Job. Dans son auréole, sa lampe était sur ma tête; en sa lumière, j’allais dans les ténèbres, tel que j’étais aux jours de ma juvénilité, en l’intimité d’Eloha; dans ma tente; quand Shaddaï était encore avec moi, avec, autour, mes adolescents, quand je baignais mes chevilles dans la crème, et que, du roc, des  ruisseaux d’huile coulaient pour moi: ».

– Job X.X1X, 2-6 (version Chouraqui).

Car, précisa-t-il, « El est immense et pas connu; le nombre de ses années est incalculable. Oui, il met en réserve des dégoulinements d’eaux et distille la pluie de vapeur dont l’éther ruisselle; elle dégoutté sur l’humain, abondamment, quand il discerne aussi les déploiements d’une nébulosité, aux  déflagrations de sa hutte. Voici, il déploie sa lumière au-dessus, et découvre les racines de la mer. Oui, là il  juge les peuples, et donne la nourriture à profusion. »

– Job XXXVI, 26-31 (version Chouraqui).

Dès lors, nous pouvons en déduire que l’enjeu propre au Chérubin LAV (EL) consiste pour nous à reconnaître notre  impuissance à satisfaire nos propres besoins, étant dès lors invité à nous ouvrir à l’Amour du Tout-Autre, Dieu se révélant à nous en nous faisant connaître Sa puissance vivificatrice à travers les ressources qu’Il génère au sein du créé,  nous invitant en outre à y participer pleinement (puisque connaître c’est participer). En de sens, ce Cherubin est également très étroitement associé à la sacralité de la nourriture telle qu’elle apparaît dans la tradition judéo-chrétienne.

En effet, « dans la règle monastique; le repas, bien loin d’être considéré comme une pure nécessité physique qu’il faut satisfaire sans y prêter attention, est expressément valorisé au même titre que l’Office divin, quoiqu’à un degré moindre. Il s’insère deux fois par jour dans la série des sept célébrations de l’Office et il est lui-même une célébration à sa manière. En effet, les prières du benedicite et des grâces qui l’encadrent à son début et sa fin, constituent un véritable office mineur composé selon un schéma tout à fait analogue, et avec le même contenu, très condensé, bien sûr, à celui des grands offices. Ainsi, la prière avant le repas  du midi commence par deux versets du psaume 144 évoquant le don de l’aliment par Dieu:

« Les yeux de tous les, vivants sont tournées vers Toi, Seigneur, et Tu leur donnes la nourriture en temps opportun; il te suffit d’ouvrir la main et Tu combles chacun de ce qui lui est bon. »

Suivent des invocations pénitentielles, la récitation du Pater et, enfin, la bénédiction de la table:

« Bénis-nous, Seigneur, ainsi que ces dons qui sont à Toi et que nous allons recevoir de Ta largesse. Amen. »?

La prière après le repas comprend des acclamations d’action de grâces, spécialement celle-ci:

« Nous te rendons grâces, Seigneur, pour tous Tes bienfaits, Dieu tout-puissant qui vis et règnes dans les siècles des siècles, Amen, »;

Puis ces deux versets du très petit psaume 116 et une série de douze acclamations. Au repas du soir, on a des prières à peine différentes.

« Deux éléments essentiels sont à noter, à notre avis, dans ce petit office de la table: l’action de grâces et la bénédiction. Tous deux manifestent le caractère sacré du repas, mais sur deux plans différents. L’action de grâces est une reconnaissance de l’origine divine, et donc du caractère sacré, des aliments:

« Avant de prendre de la nourriture, dit saint Clément d’Alexandrie, il convient que nous louions le Créateur de toutes choses, et il convient aussi que nous le chantions quand nous prenons comme nourriture les choses qu’il a créées. »

La ligne directrice  ici est la même exactement que celle de tous les offices chantés au chœur et qui constituent l’opus Dei, l »’œuvre de Dieu », le ‘travail » du moine, qui consiste à glorifier Dieu pour toutes les merveilles de la création; le «Moine est d’abord le chantre de la création où resplendit là gloire divine, et cela est vrai aussi bien lorsqu’il mange que lorsqu’il est emporté et ravi, dans l’église, par les envolées lyriques des psaumes. Tout est grâce pour le Moine; même la cuisine. Entre las ollas anda el Senor, disait sainte Thérèse d’Avila: « Le Seigneur se promène au milieu des marmites. »

«Le second-élément signalé, la prière de bénédiction, est peut-être plus intéressant encore, pour notre propos du moins, car il nous  révèle un aspect moins évident, au premier abord, dans la mentalité de l’homos religiosus. Celui-ci sait bien que l’univers et toutes les choses de l’univers sont sacrés par nature; mais il sait aussi que l’univers et les choses ne sont pas en situation stable; que l’être créé est  soumis à une perpétuelle poussée d’entropie amenuisant la charge d’énergie subtile dont il est porteur, et que celle-ci doit être perpétuellement renouvelée; et c’est justement le rôle de la bénédiction : celle-ci appelle l’action divine vivificatrice sur l’objet bénit pour en augmenter les effets bénéfiques, tout en écartant d’ailleurs les influences maléfiques. La bénédiction réactive, en quelque sorte, la sacralité de l’objet et mobilise la potentialité qui est en eux, l’actualise et l’exalte par la puissance divine à laquelle on fait appel. ». – Hani, Jean, Mythes, Rites & Symboles, Guy Trédaniel Éditeur, Paris, 1992.

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